Une histoire à la con pour un dimanche pluvieux

La pluie fait des claquettes (sur le trottoir à minuit), mais vu la température de cette fin juillet (21° dedans et 14° dehors) et ces averses à faire renoncer un écossais de passer ses vacances dans notre beau pays, l’homme qui rédige ce récit et est encore un peu frissonnant se demande s’il est de mise de faire cesser cette plaisanterie.

Le couple est devant la télé, le Covid est sur toutes les chaînes :

« Pedro, dit d’une voix agacée son épouse Jasmine, demande au vieux d’enlever son dentier, on se croirait en hiver à l’écouter claquer, son bidule ! »

« C’est vrai qu’il fait bien frais pour la saison, ma mignonne, viens près de moi. Le vieux il va claquer bientôt, il ne passera pas cet été. Alors, le cagnard en automne, ma belle, avec l’héritage on creuse une piscine qui fera vingt fois sa tombe, à l’ancêtre. »

« Mon Pedro, tu es un ange, mais les anges, eux, se lavent dans les nuages, leurs ailes utilisent des brumisateurs pour ensuite nous inonder de pollutions nocturnes qu’on nomme ici rêves érotiques. Le papi, il pète comme l’orage, pollue comme les usines chinoises, et en plus il ronfle comme une locomotive polonaise fonctionnant au charbon. Je crois qu’il est temps de faire quelque chose, mon gros loup ! »

Dans la chambre mansardée de l’étage dorment Armel et Gaëlle, petits gosses mignons tout plein du couple. Soudain, de nouveau, la pluie fait des claquettes, sur le toit, à minuit. Ça tambourine dur sur les tuiles et les petits se réveillent et se mettent à brailler. Dans la chambre du rez-de-chaussée exposée au nord, le vieux ronfle. Son dentier, maintenant qu’il roupille, Pedro le lui retire ; il se nettoiera dans un verre, demain le vieux pourra aller gagafier au bistrot, avec ses copains anciens combattants et sourire à la patronne, si elle est de bonne humeur.

L’homme qui écrit cette histoire n’a aucun lien de parenté avec cette famille. Il a atterri là voici une semaine, à l’auberge du village (ouvert en toutes saisons) « A la Bonne et Franquette ». A peine arrivé, alors qu’il terminait vers vingt heures son repas (que l’on disait alors copieux, jamais bourratif), le vieillard était ivre, marchait de travers et parlait la langue universelle des arsouilles qui n’ont que cet état territorial pour se réfugier avec le seul passeport universel qui soit : l’haleine des démons. Le bistrot était vide (couvre-soif oblige) et la patronne indisponible (il y avait The Coca Cola Voice show à la télé). Elle lui offrit une réduction double de celle de Booking et un abonnement à un magazine rempli de femmes nues, qu’il déclina. Bref, il ramena le papi chez sa descendance et c’est ainsi qu’il put enquêter sur les réalités joviales d’un terrible complot.

La pluie tombait sans discontinuer, les anges avaient du partouzer comme toujours tels des bêtes à la saint Noé, et ce matin-là le vieux au nez rubicond traversa le Styx. Pedro et Jasmine mesurèrent la taille des vêtements de l’ancêtre, quelques bougies autour du cercueil, prévues de longue date, se firent confirmer par on ignorait qui, mais un officiel de la mairie ou des pompes funèbres dont on ne savait plus de quel pays il venait, car n’est pas du pays ici l’étranger qui vient d’une autre commune, même muni d’un chapelet, on s’en méfie. Le maire et le docteur dirent aux époux qu’il avait trouvé la paix éternelle et ne lèverait plus la moindre paupière ni le zizi qu’à 86 ans parfois, vous savez, ces vieux pendards on sait ce qu’ils font dans les maisons de retraite, la nuit, quand la pluie fait des claquettes, entre le repas du soir à 18 heures et le bol de café le matin à 7 heures. Après, on les occupe, enfin, c’est façon de parler. On les oublie. On pense à la piscine que l’héritage va permettre de creuser dans le terrain du vieux. Parfois, raconte Jasmine, on voudrait connaître le prix de vente de nos enfants sur internet, pour avoir la paix, mais bon, si on enlève le coût annuel de l’entretien, un gosse, ça rapportera plus à mendier en ville que d’aller à l’école laïque apprendre à grandir .

Sans attendre les obsèques Pedro et Jasmine fouillèrent la chambre du mort, tirèrent des papiers et des photos des fonds de tiroir, soulevèrent les piles de draps de l’armoire, mais ne trouvèrent rien qui puisse affirmer leur héritage. Il faut dire que le vieillard, hormis sa tendance à fréquenter le bistrot du village était encore vaillant, jusqu’à ce matin fatal où on le trouva étendu dans son lit, bouche et paupières closes. Le dentier était encore dans son jus, mais Pedro fit semblant de ne pas le remarquer. Maintenant qu’il avait passé l’arme à gauche, vous comprenez. Et un dentier, ça se revend sur E bay à un africain pour le prix d’un canard-bouée chez Gifi.

L’homme qui écrit cette histoire eut comme une prémonition, à regarder s’agiter la parentèle dans la pièce exposée au nord. Le visage du vieux était impassible, certes, mais on pouvait déceler un petit rictus goguenard. Les anges avaient peut-être rincé son gosier avec de l’hydromel et le goût céleste titillait-il encore son palais, seul dieu le savait. Armel et Gaëlle, les petits chérubins, faisaient les fous, se poursuivaient et sautèrent sans y prendre garde sur le lit funéraire. Ce qui fit trembler le cadavre, dont la mâchoire s’entrouvrit. Sur ses gencives était scotché un dentier tout en vrai or dix huit carats, trente deux dents parfaitement imitées, qu’il avait dérobé dans sa jeunesse à un gros filou stambouliote qui échangeait au noir des livres turcs de Yachar Kémal et Nedim Gursel contre des dollars.

De fait, l’homme qui écrit cette histoire s’est approché du mort, et dans le remue-ménage ambiant a dérobé le fameux appareil. Puis il est retourné à l’auberge « A la Bonne et Franquette », a fait sa valise et s’est enfui à trottinette électrique, poursuivi par Armel et Gaëlle, qui ne parvinrent pas à le rattraper. A noter que ce matin-là, le soleil brillait et la pluie, comme l’homme, avait pris la poudre d’escampette.

01 08 2021

AK

6 commentaires sur “Une histoire à la con pour un dimanche pluvieux

  1. Soleil éclatant chez moi mais j’ai lu quand même et je ne regrette pas.
    Bien troussée du début à la fin c’t’histoire complètement immorale, amorale j’en sais rien, j’ai adoré 🙂

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    • Bon, j’aurais du faire mieux, mais en ce moment le ciel (sauf aujourd’hui) pluvieux et froid me tanne l’imaginaire. Concernant la chute, elle m’est venue du souvenir qu’un gars nous avait raconté. (A l’époque où nous parcourions le monde en toute liberté, nous les désormais baby boomers).
      Il était à Istanbul, et à l’angle d’une rue un type avait surgi : « do you want change money? ». Le pote avait sauté sous la surprise de cette apparition soudaine. Le type lui avait alors souri, et toutes ses dents étaient en or (certainement du plaqué), ce qui lui donnait, selon ce pote, un air encore plus effrayant !
      Comme quoi toute fiction possède quelques bribes de réalité !
      Bon dimanche à toi ! 🌞

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      • 1. parce que ce n’est pas venu d’un trait (en général, tout vient sur une idée de A à Z en même temps)
        2. je n’ai pas assez rigolé en l’écrivant (donc je n’étais pas assez méchant!)
        3. je suis trop fainéant pour avoir de la suite dans les idées !
        …153 . j’ai appuyé sur la mauvaise touche et mon clavier est en cyrillique ; encore un coup des russes !

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