Jour d’asphalte (17)

(Gilbert Blancq, incommodé par la présence de l’animal, se crut obligé de répondre :

« – Je voletais gaiement au-dessus des prairies, acheminant courrier du département des Landes jusqu’au-delà des Andes, lorsqu’un vrombissement terrible, venu des ténèbres, vînt troubler mon vol d’aigle ; je chus soudainement, tel Icare exposé au musée Grévin (avant le réchauffement climatique (ndr)) à l’initiative d’un roi de France, et dans la langueur mon bimoteur d’acier se reconvertît illico dans l’élevage des escargots.)

note : les (ndr) datent de 2021

L’enfant turbulent n’avait rien écouté, se contentant de jouer à chat perché avec le renard. Seuls les derniers mots effleurèrent ses oreilles, révélant une idée :

« – Venez donc, monsieur, chaque jour au rythme de l’escargot, vous rapprocher de moi et, suivant cette politique, d’ici peu vous pourrez tout à votre aise me chatouillonner ! »

Le renard, enflammé par une telle déclaration si proche de sa pensée avala, enragé, le mouflet dans sa gueule de loup manqué. Il le recracha, quelques minutes plus tard, concluant la journée par ces quelques paroles :

« – Le soir tombe, pâle comme une sépulture sur l’amour virginal. Vêtu d’une aube un jeune enfant s’avance vers l’adolescence. Aux traits d’Éros vagabondent les rêves en cet instant. L’animal en ces mots ne flaire qu’un destin matinal ; dans son esprit la corne rhinocéphale bat la campagne, pudeur encéphalique, douce et charmante Omphale… »

La nuit tomba, interrompant la lecture de l’aïeul. Les gamins tombaient de sommeil. Miss Porridge besognait, mélangeant les confettis aux lasagnes. Le vent nocturne secouait ses puces et les premiers rats enjambaient les rythmes saugrenus de l’opéra de Soie, de Lichen, de réserves de Blé et de Silo ou les cent vingt journées de Carnaval. L’aviateur à casquette , à la lueur d’une bougie dressée dans la pénombre, profita de cette période de chandeleur pour troquer ce livre enchanteur contre un polar de Patrick Fouillard, dossiers froids, éditions Ouest France (ndr). Les gosses assoupis ronflaient en chœur, meutes d’anachorètes sur les crêtes du rêve. La nuit s’installait en blanc et noir. Maniant superbement son crayon Gilbert Blancq colorait de quelques mots supplémentaires la feuille roussie lui servant de testament. Ses paupières fourrageaient sur les veinules rougies de sa cornée à la douce cadence de l’ascenseur qui le hissait, incontinent, au septième ciel, dans ce doux pays où les cils sont sourds et les mots écrits en langue kangourou sont publiés en collection de poche. Pour tromper sa fatigue, il se versa une tasse de café agrémentée de rhum des îles Borromées. Mais chaque sucre qu’il plongeait dans son breuvage cachait un coup de canne. Sur la carcasse de l’avion tournoyaient les premiers vautours. Malgré sa patience angélique, il doutait fort de sa capacité à attendre le gamin, ou à le rejoindre à la vitesse de l’escargot. Ce fut le renard qui vînt à sa rencontre, trois secondes avant l’aube, lui fournir la solution :

« – L’aurore fonde le jour, et de toute naissance la vie en son creuset induit l’engeance. Mais d’un sourire tu reconnais la crainte, et l’avenir fend le doute dans la présente féerie, ni plainte ni désir en ce lieu désormais ne versent leur mascaret, alors sois gai, mais aussi détesté ! »

Les réverbères scintillaient dans les yeux du vieillard cacochyme (comme ils le sont tous). Chaque battement de cils répercutait une étrange lueur rosâtre , hémoglobine automnale des ceps de vigne quand la liqueur du raisin se tarit. Dans sa mémoire peu à peu se ressoudait la vieille carcasse égarée au milieu d’un champ de blé baigné de lumière, désarticulée, en solde, alors il se régénérait aux abords d’une immense roseraie carminée où de temps en temps il entretenait quelque gamin, quelque franginnette, accédant par ses ruses de renard au sénile plaisir de ce qui ne se voyait pas, comme étant le plus important. Et pour contenir cette jeune assistance, face à ce qui constituait pour lui une irrésistible insistance, Gilbert Blancq inventait des histoires que Dieu, tout puissant qu’il était, refusait de confesser. (ndr)

Le plafond est bas. Nous allons le percuter, masse molle.

« – Attention au choc ! » dis-je à Beau Gosse pour le sortir de sa torpeur. Nous nous enfonçons dans la ouate. John allume ses codes.

« – Quelle purée de pois !

« – On devrait la mettre en boîte et l’envoyer au Sahel !

« – Rigole pas avec ces choses-là, Rudolf. Tiens, avant-hier, j’ai embarqué sur ma ligne des types si gros que je croyais conduire une bétaillère vers les abattoirs de Los Angeles !

« – Des ricains obèses, il paraît que ça représente soixante dix pour cent de la population.

« – Mes types n’étaient pas des ricains, mec, faut pas confondre, mais des bons vieux dévots du coin, nourris à la viande rouge.

« – Des veaux cannibales ?

« – Toute une brochette de curés bien gras et fondants sous l’Adam. Des curetons dodus comme on en voit sur les emballages de boîtes de camemberts.

« – Avec toutes ces reliques qu’ils expédient de par le monde c’est-y pas louche, ça en dit long sur leurs habitudes gastronomiques !

« – Un bon archevêque rôti arrosé d’un Lacrima Christi de derrière les fagots, la Jeanne d’Arc à de quoi maudire l’évêque Cauchon, je ne te dis que ça ! »

AK

3 commentaires sur “Jour d’asphalte (17)

  1. Trop fort, illustre Karouge, trop fort !
    Je ne sais même pas quel extrait citer tellement tout me plaît !
    La suite, la suite, la suite…
    (et si tu viens à manquer de suite, tu achètes une De Loréane et tu remontes le temps pour te retrouver au moment où tu écrivais ce texte pour nous en pondre une, de suite.)

    Aimé par 1 personne

Répondre à toutloperaoupresque655890715 Annuler la réponse.

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