les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
Jésus Antunès Carvalho est né le 25 décembre 1988 à Lisbonne. Son arbre généalogique démarre au début de la chrétienté par son aïeul Jésus Lepetit, fils d’un tailleur pour dames et d’une esclave de Numidie vendeuse de dattes sur le carreau du Temple. On trouve également dans son arbre généalogique sa parentèle avec un certain Molière, vers 1664, qui aurait abusé de sa très arrière grand-mère, une certaine Comedia de l’Arte, dans les jardins buissonniers de Versailles, mais cela ne fut jamais validé par les Mormons de Salt Lake City.
Durant la seconde guerre mondiale, les grands parents de Jésus, composée d’Alonzo le père et d’Alfreda son épouse enceinte, se réfugièrent dans la banlieue de Czestochowa, province de Silésie, en Pologne, pays d’où ils s’enfuirent avant les pogroms du ghetto de Varsovie par les nazis. Tous deux traversèrent la France, faisant halte à Rocamadour, puis franchirent les Pyrénées s’arrêtèrent cinq semaines à Saragosse, où ils logèrent chez une aimable négresse, Maria del Pilar, qui vivait dans un temple ayant la particularité d’avoir une chambre établie en haut d’un pilier très robuste. De là, ils reprirent leur long périple et arrivèrent au Portugal, où ils s’établirent. Alfreda donna naissance en 1955 à une petite fille qu’ils nommèrent Fatima, la future mère de Jésus Antunès.
Si la plupart des jeunes lisboètes ont oublié le terrible tremblement de terre de 1755 qui détruisit la ville, peu se souviennent du gigantesque incendie du Chiado en août 1988, soit quelques mois avant la naissance de Jésus. Ainsi, en ce 24 décembre 2021, Jésus commença à fêter ses trente trois ans. Comme tout lisboète qui se respecte, il se prenait pour un poète, ayant pour modèle Fernando Pessoa, dont il partageait essentiellement les excès plus que les rimes et les mots. Après quelques saisons passées dans l’enfer des prisons portugaises, pour divers méfaits dont certains plus graves que d’autres, il se trouva donc en cette soirée de post anniversaire dans un bar de l’Alfama, buvant de pleins verres de ginginhia avec des amis aussi louches que lui, une douzaine de gars qu’il appelait ses apôtres. Dolorès, sur la scène du caboulot, chantait de sombres mélodies de fado qui mettaient en transe la minuscule salle. Jamais ce soir-là la saudade ne fut plus intense dans les rues en pente de ce quartier dont l’hiver avait balayé les hordes touristiques.
Comme à son habitude, au petit matin, il redescendait à pied l’étroite rue de la calçada de santo André jusqu’à la Mouraira, avant que les trolleys ne reprennent du service. Une grande partie des sans papiers venus d’ Afrique y avaient élu domicile depuis la fin de l’empire colonial, bâtiments délabrés où une vie intense et misérable régnait, gonflée de rites et de mystères hérités des anciennes colonies, Angola, Mozambique, Guinée Bissau, Sao Tomé et Principe, Cap Vert… Ainsi, Jésus Antunès Carvalho entretenait-il sa survie par de petits trafics liés à cet inter-monde qu’il connaissait par cœur pour y vivre quotidiennement de jour de nuit et d’esprit depuis son enfance. Il avait connu l’immense place du Commerce, qui donne sur le Tage, au temps où celle-ci n’était qu’un vaste parking pour voitures, avait à l’époque intégré la grande bande des enfants des rues qui pour quelques escudos trouvaient et dirigeaient les touristes pour leur permettre de stationner dans une sécurité relative. Puis il avait grandi. Dans cette ville magnifique, chaque aube ouvrait ses fenêtres sur un jour prometteur, loin du grand Salto des années du règne de Salazar, avec ses contingents de déserteurs, obligés au départ par la force de combattre deux ans dans les colonies lointaines et les guerres perdues d’avance. Alonzo et Alfreda étaient morts en franchissant, au milieu des années soixante dix les cols pyrénéens, et seule restait Fatima, sa mère, fidèle à son destin et à la vie de son fils. Le père avait aussi tenté sa chance, mais les glaciers et les balles franquistes l’avaient tué, un soir d’automne, alors qu’il franchissait le col du Somport, tentant de rejoindre la petite gare d’Urdos, quand le train circulait encore entre les deux frontières, espagnole et française.
Chaque fin d’année, c’était devenu un rite, Jésus Antunès Carvalho rendait visite à celui qu’il appelait son oncle, un grand père de presque quatre vingt ans, Antonio Lobo Antunès, qui habitait à Benfica, dans la banlieue de Lisbonne. Ensemble, durant quelques heures, ils parlaient es prouesses du club de foot, de poésie et évoquaient Vasco de Gama, l’immense navigateur qui arriva aux Indes après avoir contourné le cap de Bonne Espérance, ce cap dont l’humanité a perdu tous les instruments, sextant, boussole et gouvernail aujourd’hui, préférant les satellites et les navettes spatiales pour conquérir de nouveaux touristes et faire oublier la misère des gens, des enfants des rues de la place du Commerce.
Puis Jésus revenait, plein de nostalgie et de musique en tête, traînant ici et là sur le chemin, regagnant la rive du Tage, achetant un beau poisson au marché du Cais de Sodré avant de remonter par l’elevador da Bica rejoindre la rua do Poço dos Negros où logeait sa mère. Il aurait trente trois ans, ce lendemain-là. Un beau poisson dans son sac que sa génitrice cuisinerait avec amour, cet amour filial qui rend les mères admirables quand elles aiment leurs fils comme l’or se répand le soir sur le Tage.
Comme par magie, ce 25 décembre, un ciel limpide, bleu comme les yeux de Vasco de Gama, inondait la ville. Le soleil s’était levé tranquillement, alors que Fatima déjà s’affairait à écailler et cuisiner le plat du jour. Pourtant, le poisson était trop gros pour ne nourrir que deux personnes. Elle réveilla Jésus. N’avait-il pas quelques amis à inviter pour son anniversaire ? Il réfléchit. Combien pouvait-elle faire de parts ? Il avait douze potes, plus eux, cela faisait quatorze. Parfait, c’était un miracle de pouvoir en effet partager ce poisson en autant de convives. Elle cuisina ainsi jusqu’à midi. Le temps était radieux et l’appartement minuscule. Mais pourquoi ne pas manger dehors, l’hiver a chassé les touristes et le mirador alto de Santa Catarina a des bancs, des tables, bref de quoi tous nous réunir, mon fils !
Jésus appela donc ses douze apôtres, Dolorès et les musiciens de Fado de l’Alfama, pour que la fête soit complète. Vers midi trente ainsi vit-on un cortège de bougres attifés de belles tenues atterrir en portant toute la ménagère nécessaire à un festin sur le belvédère. Fatima et Jésus portant le poisson cuisiné dans un grand plat doré prêté par les voisins. On prit place, on se mit à remplir les verres de vin blanc sec. Puis on les vida. Puis on remit ça. Enfin, le poisson arriva sur la table. Les convives furent surpris, car il semblait avoir bondi depuis les eaux du Tage en un élégant saut de carpe. Et ce n’était pas l’œuvre du Cristo Rei, qui tendait ses bras sur le pont du 25 avril. Cette magie n’était en fait que l’œuvre de Fatima, la sainte mère de Jésus Antunès.
Le repas fut historique. Une joie régnait malgré les airs de fado et les vocalises déchirantes de Dolorès. Un des amis de Jésus, nommé Judao, eut alors l’idée géniale de composer, avec les arêtes du poisson, une couronne à l’élu du jour. Tous se réjouirent de cette excellente idée sauf, il faut l’avouer, Fatima, qui avait connu les stigmates des guerres coloniales sous le règne de Salazar. Mais l’assemblée vota pour, par Zem, Mour et amour crucifical. Les libations s’achevèrent au soir, et ne resta sur la table que la tête et la queue de ce poisson fétiche, le bacalao.
Dans la nuit, Jésus fut pris de malaise. Son cerveau semblait se liquéfier, son corps flottait tantôt dans les eaux d’or du fleuve, tantôt dans l’évanescence du ciel obscurci. La couronne d’arêtes s’incrustait en lui comme un diable malin trahit le don de vie. Ce fut cette nuit-là qu’il tua sa mère. Savez-vous pourquoi ? Parce qu’elle avait la peau numide, par Zem et Mour ! Dire que les jeunes lisboètes naissent tous poètes est donc un mensonge que ce récit avère.
05 01 2021
AK
Ben dis donc, c’est la nouvelle année qui t’inspire ainsi ? J’adore Carminho et plus encore Luis Guerriero… (normal, c’est un de mes guitaristes préféré.). Merci pour ce joli morceau de fado classique et ton délire tout azimut ! 😉
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D’une pierre deux coups, donc !
Bonne journée miss Do. 🧙♂️🙆♀️
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Toujours délirant et dense, j’adore tes récits.
Dis donc, l’Asphalte, c’est pas fini, si ?
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Pour jour d’asphalte il reste une dizaine de pages, mais je les trouve pas géniales (ah ah le génie qui parle!) et elles viendraient un peu tard sur le site, décorrélées du reste. Bon, si le temps s’y prête…
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