Barbichette, je te tiens !

Je me demande quels impacts du temps ont marbré de leurs meurtrissures ma jeunesse pour me rendre joyeux aujourd’hui devant un verre de vin vieux comme moi, et face à ces souvenirs fugaces qui me reviennent par vagues, qui l’égayent sans s’égailler, aussi rares et précieux soient-ils, je jette dans la marmite du temps passé les épluchures de mes frasques devenues braises incandescentes face à l’enfer qui attend le monde. Dans la cabane faite de bric et de broc je suis seul, pour quelques heures encore. La pluie rince la toiture perchée sur ma tête, mais ici, sous ma couette percée nul cloporte, le rêve et la réalité font l’amour entre le craquement du bois et les ossatures arthritiques de mes sens. Je suis le vieux poète sous sa mansarde peint par Carl Spitzweg, sauf que je ne suis pas poète et que mon parapluie est resté dans la voiture, qui subit les affres des intempéries et la décoloration des sécheresses endémiques. En fait en vieillissant je suis devenu con. C’est un long parcours, m’a concédé le curé en relevant sa soutane et ce depuis que les américains ont posé les pieds sur la Lune m’a-t-il dit. Avant, on disait de moi que j’étais con comme la Lune, et les gens reculaient en m’apercevant dans les rues. Ensuite on a dit que j’étais con comme un américain. À mes déguisements de cow-boy ont succédé ceux des Rambo des couvre-chefs de Dallas, des morpions (araignées , chauve-souris etc) de Marvell, des séries cultes pleines de blondasses qui frétillaient sur les plages (quand la couleur apparut sur l’écran de télé). C’est à cet âge-là que j’ai découvert la masturbation, sans revendiquer la solitude qui imprégnait mes doigts. Un apprentissage puéril qui ne me servit à rien plus tard, quand adolescent je compris que l’amour avait un goût de révolte et de jets de cocktails plus ou moins Molotov. Ne comprenant rien à la politique je courus m’étaler dans les festivals où l’amour et la paix transgressaient la guerre du Vietnam. J’avais encore en moi le syndrome amerlo-pacifiste. Tout en bas de l’Afrique, il y avait Mandela, du côté du Pacifique Allende, et le chat d’Iran qui filait sur un tapis volant, laissant un misérable trait blanc barbu dans le ciel qui depuis s’est terriblement voilé. Bien sûr j’ai eu des potes à cette époque, maintenant âgés, ils ressemblent à des légumes désormais. Nous avions tous un surnom, Tarin, Long Pif, Macron, Rouquin (c’était le mien, à cause de la picole, pas des éphélides qui tapissaient mon visage), Tête de Nœud, Clarinette ou Zimba pour les filles, bref on se marrait bien avant le passer le BAC, ce sable qui irait s’enliser dans les facs de Droit ou d’Histoire de l’Art, ou le monde du travail pour les recalés.

N’ayant pas franchi le diplôme le travail m’attendait à bras ouverts pour m’étrangler, corrompre le monde imaginaire que je pensais parfait,c’est-à-dire libre et égalitaire, la sentence sociale. Le travail est une maladie qui est contraire à la passion. Un être passionné ne compte pas ses heures, y trouve son bonheur. Un ouvrier y compte son labeur, mais souvent, tel le laboureur de La Fontaine, aucun de ses enfants ne fera fortune, dans le sens de ce bonheur qui ne s’enrichit que par le pognon qui s’ennuie à prospérer (IA)I que l’on exhibe. Regarder ses mains, compter ses cals et songer que tout est là, dur et compact, utile et sans profits sybarites. Regarder ses mains, toutes les lignes de vie y sont gravées. Je regarde les miennes. Elles sont blanches de paume, honnêtes, et de vieilles rides s’installent jour après jour dans leur dos. C’est la vie, le printemps renouvelé des éphélides. Le parchemin du vécu, l’ultime trace du présent qui concède le plaisir de se fourrer un doigt dans l’oreille, dans le nez, mais plus celui de l’œil (ne parlons pas de l’autre orifice, plus sournois), qui connaît le curriculum vitae par cœur.

Je suis joyeux aujourd’hui de m’être perdu dans la vie et peut-être aussi dans la marmite du passé et du vin doux, en fait je suis un vieux tableau de Spitzweg qui ne s’expose pas. Et entre Tarin, Long Pif, Macron, Rouquin, Tête de Nœud, Clarinette ou Zimba, qui sait lesquels d’entre nous entretiennent encore l’imaginaire et le parfum des cals qui dansent sur les claviers sans mémoire.

06 04 2023 AK

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