les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
C’était un samedi matin de fin novembre, la Presse proposait de télécharger les nouvelles donnes du confinement. Après avoir imprimé ces sauf-conduits obligatoires, je suis monté dans ma voiture, j’ai embrayé et me suis enfui au petit matin parcourir en un parfait, ou presque, cercle concentrique la liberté de ce rayon de 20 kms que l’on m’autorisait (motorisé de préférence), soit : 126 kms de liberté retrouvée, comme un vol d’oiseau libre dans l’espace ou l’étape quotidienne des palombes dans les champs moissonnés de maïs qui m’environnent d’avril à novembre. Si je ne pouvais rejoindre mon cercle d’amis, ni ma famille, cette trajectoire m’offrirait au moins une aventure concentrique loin de ma maison d’arrêt concentrée entre la cuisinette et le jardin en déshérence (les tondeuses à gazon n’étant pas des outils de première nécessité, donc non essentiels, surtout les jours de pluie, voire de flemme).
Parvenu au pied d’une première côte, je m’aperçus que mon GPS n’était pas correctement réglé. Une voix synthétique, un peu comme celle de mon épouse, ne cessait de répéter faites demi-tour au prochain rond-point. Encore un réglage de ma compagne jalouse qui était experte en surveillance matrimoniale, avec son suivi discret relié à l’écran de l’ordinateur d’où elle pouvait suivre tous mes déplacements (selon elle) extra-conjugaux sans que je puisse m’en rendre compte. Ne serait-ce qu’aller acheter le pain à la boulangerie suscitait ses doutes les plus vifs. Or, cela faisait plus de six mois que la boulangère n’était plus ma maîtresse, mais allez faire croire ça à une femme qui a planqué un microphone dans votre porte-monnaie (méfiez-vous, hommes de bonne volonté, qui désirez répandre votre amour universel à quelques centaines de mètres à la ronde). J’ai donc traficoté l’engin, en remplaçant homme par home, et ainsi me libérer des vains ressentiments de ma chère en les mutant en vingt kilomètres d’enchantements stratégiques. Bien entendu, je n’avais que trois heures devant moi et quand je stoppai pour ma première halte Mimosa (un nom de code) m’attendait déjà sur le seuil de sa maison au crépi flambant neuf. Le feu crépitait dans la cheminée. Il était neuf heures moins une. Quand l’horloge du vestibule tinta nous comptâmes ensemble les neuf coups, ce qui n’est pas mal pour un type de mon âge. Mimosa m’offrit deux branches de houx avec des boules bien rouges : tiens, c’est un bon alibi pour ta chère et tendre, tu lui diras que tu es allé au bois chercher des champignons. J’embrassai Mimosa et me remis en route.
Pour maintenir le cap, le GPS tourniquait, tel un compas de marin dans la tempête, et des vagues impressionnantes de désirs charnels brinquebalaient mon véhicule sur les petites routes jonchées de nids de poule et les chemins où je m’engageais incognito pour rejoindre Babe (un nom de code). Je me garai sur le bord de la route. La ferme où elle habitait se trouvait à cent mètres, mais le maître de maison était encore présent. Il tournait autour de son tracteur, ce salaud. Les vingt kilomètres, il les raccourcirait à l’envi à travers champs, lui. Mais finalement, il monta dans la cabine. L’engin pétarada et il s’évapora dans le brouillard automnal. Je laissais la voiture et courus vers la ferme. Les chiens n’aboyèrent pas, on se connaissait. Mais les pintades, ces connes, glougloutèrent comme des alcooliques en manque de Trump-rincettes (un Bourbon qui a du mal à passer, tant il vous arrache l’œsophage et donne des mots d’estomac). Avec Babe, il fallait faire vite. L’attente avait raccourci nos ébats. Mais comme dit le proverbe grivois : à bonne chatte bons râles. J’avais déjà sucé mon petit bonbon bleu en attendant d’agir, et Babe, en véritable cordon bleu, m’offrit un succulent repas dont les secrets culinaires mais aussi l’institution du coup de feu en période de couvre-feu m’obligent à n’en rien révéler tant que les restaurants seront fermés aux bouches, aux baisers et aux gourmets. Nous dûmes faire vite, une fois de plus. Babe me tendit un lapin, avec sa peau, tiens, c’est un bon alibi pour ta chère et tendre, tu lui diras que tu es allé à la chasse et que tu as tué ce lapin. Je la remerciais de tout mon cœur d’artiste chaud et retournais à mon véhicule. Il me restait trop peu de temps et de kilomètres (quinze) pour rester dans l’arc légal de mon déplacement avec dérogation et justificatif (ticket de caisse, carte d’identité, nom du père et de la mère date et lieu de naissance, bref, tout le tintouin).
Il était exactement midi dix quand je m’apprêtais à franchir le dernier kilomètre. Trois gendarmes, au rond-point, m’ont alors stoppé. Papiers, s’il vous plaît, monsieur. Dérogation de sortie, permis de conduire, acte de naissance, justificatif de domicile, carte bleue, carte vermeille, carte vitale, assurance du véhicule, assurance habitation, certificat de concubinage, carte électorale… Oh et puis merde ! Leur ai-je répondu. J’étais fou de rage devant cette montagne de papelards à exhiber devant ces types en uniforme. Non seulement vous rentrez chez vous (mais nous ne sommes pas censés savoir si c’est vraiment chez vous que vous allez), mais vous avez passé le délai que la loi vous autorisait à utiliser. De plus, vous vous rebellez devant l’autorité publique. Sortez de la voiture et suivez-nous au poste, monsieur.
Et voilà comment se terminait mon escapade. Je pus appeler ma chère et tendre, afin qu’elle récupère la voiture garée sur le bas-côté goudronné de mon arrestation (le goudron et les plumes). Elle y trouva les branches de houx avec ses belles boules rouges et le lapin avec sa peau douce et ses yeux révulsés. Elle ne m’appela pas. Mais j’ai su, bien plus tard, qu’elle avait le numéro personnel du commandant de gendarmerie. Vous voyez le genre. Qu’elle l’avait appelé le soir même, et lui avait dit : alors, mon poulet, tu fais quoi ce soir ? Laisse le vieux marronner j’ai du Viagra pour toi. Alors, ce soir, c’est bamboula tous les deux, chéri !
Et comment l’ai-je su ? Par le logiciel espion que j’avais intégré dans notre ordinateur pour la surveiller.
Il faut toujours se méfier des femmes surtout quand elles vous défient…
29 11 2020
AK
J’imagine, je crois, le plaisir que tu as à écrire tes histoires !
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J’ai surtout cette chance inouïe de ne pas les vivre…en vrai ! 😁😁😁
Bien que parfois…
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Hihihi, sacré Karouge, encore un chouette conte à ta façon !
Bonne soirée !
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Tous ceux qui content n’ont à rendre de compte à personne, sauf peut-être aux enfants, petits et grands, qui écoutent ou lisent leurs histoires…Mais le véritable enchantement, c’est de savoir les raconter !
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…c »est de savoir les raconter avec la voix, je voulais dire.
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