Mon dernier voyage avec tante Jeanne

A cheval sur la brouette tante Jeanne me raccompagnait

Du papier, des crayons et la lune en tire-bouchon, lumière

Adolescente d’une première ivresse lors du bal du village

Je crayonnais déjà les amours les réverbères sans rendez-vous

Sous l’œil noir des adultes, de leurs maîtresses envahissantes

Les œillades mesquines de la messe dominicale, l’hostie

Sur la langue bénie qui glissait comme une fellation

Entre les lèvres serrées des grenouilles de bénitiers

Et ce regard abstrait que portent en biais les notables

Quand tante Jeanne, membres usés par de longues journées

A la maison me ramenait, mains crispées sur les manches

De la charrette à bras crissante sur le gravier de ma gueule de bois

Du papier, des crayons et la lune en tire-bouchon, lumière

Éblouissante du néant que vivent les adultes, œil noir

Des poètes, fleurs de cimetières et pissats sur les murs

Les morts s’ennuient de ne plus voir, parfois, s’ouvrir

La braguette des hommes, le zizi des gosses, les culottes

Des veuves dans ces citadelles de silence où les œillades

Entre tombes ne sont plus criminelles, juste mesquines,

Et ce petit chariot que fait rouler sur la terre endiablée

Tante Jeanne , corbillard à une roue et fortune aux appuis

Mon coma éthylique et sa poitrine qui pulse sainte Marie

A évoquer les seins que les prêtres ont perdu, doux Jésus,

Pour garder leur pouvoir sur les masses crédules, indolentes,

Du papier, des crayons, et la lune en tire-bouchon, lumière

De siècles qui désormais nous altèrent, dont nous portons le poids.

Il se mit à pleuvoir, ce qui contribua à effacer nos traces.

En avions nous laissé ? Tante Jeanne ne répondit pas.

Je me suis souvenu des chaussettes de laine qu’elle portait,

De ses pieds et de ses mains épaisses. Elle fut la première

A jeter une pelletée de terre dans ce trou sans mémoire

Où la brouette et moi avions plongé, sans rien nous pardonner.

02 04 2021

AK

11 commentaires sur “Mon dernier voyage avec tante Jeanne

    • Oh la vilaine blague raciste que voilà : sais-tu à quoi on reconnaît la différence entre une brouette poussée par un corse et celle poussée par un portugais? Manipulée par un corse, elle fait crouic…crouic…crouic. Manipulée par un portugais elle fait crouic crouic crouic. (ça faisait rire les couillons dont j’étais, dans le petit monde du BTP). J’ai honte !!!
      Bonne journée quand même! (si tu en as une sur les béarnais, ne te gênes pas !)

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