La pie et le pire

Je ne pensais pas que je mourrais ainsi, lors des premiers combats, mais il faut se résoudre à oublier la vie quand celle-ci vous quitte. Dans les derniers instants pourtant j’ai entendu mes parents et mes tantes chanter victoire dans les champs ravagés de batailles inutiles et pourtant meurtrières. J’ai revu mon père dans les tranchées et ma mère en filigrane qui tranchait le pain dans la cuisine, au fond de la campagne. Mes jeunes frères et sœurs qui sautaient à la corde avant qu’ils ne bondissent sous l’impact des mines. Je les avais dessinés, des portraits au crayon, qui leur ressemblaient peu, mais ils aimaient les voir, dans le jardin ensoleillé. Quand l’obus a explosé, le mois de juin frémissait de fleurs et les arbres fruitiers peaufinaient leurs fruits qu’en juillet nous dégusterions ensemble, toute la famille réunie sous les ombrages des grands arbres.

Deux gendarmes sont venus alors pour me signifier que j’étais réquisitionné. J’avais 20 ans, l’âge de la chair à canon, l’âge des non diplômés qui sont sans recours et marchent en rang, le front bas, comme des condamnés qu’on mène à l’échafaud. Enrôlés dans une guerre absurde et meurtrière.

Dans un des arbres du bois soudain j’entendis la pie. Celle que j’étais allé, encore gamin, chercher dans son nid, tout en haut du vieux chêne centenaire, et avec laquelle j’entretenais une complicité qui, au moment de mourir devenait féérique, tant elle m’en-chantait. La vie ne se partage pas avec la mort, mais la pie chante le blues , (à ne pas confondre avec la pie meal anglo-saxonne). L’oiseau tournoyait autour des deux représentants de la loi, frôlait en tous sens leurs képis, et quand l’un d’eux sortit son arme de son étui, je ne sais pourquoi je me suis précipité sur lui. Je ne pensais pas que je mourrais ainsi. L’autre tenta de me maîtriser, mais entre nous le bruit de la guerre explosait déjà, et l’arme fatidique me terrassa d’une balle. Batailles inutiles et pourtant meurtrières.

Ainsi je disparais de la lumière du jour, ravagé de batailles inutiles, sans autre arme que mon propos, inutile et maussade. Croix blanche parmi des milliers d’autres, un peu à l’écart pourtant, juste à cette distance suffisante pour écouter chanter la pie qui se moque de cette triste histoire, et qui a regagné son nid perché tout au sommet du chêne centenaire.

09 06 2022

AK

5 commentaires sur “La pie et le pire

  1. La pie nourrit le jeu de mots mais elle ne chante guère… Un pain de son aurait été… moins gai… le geai, on ne l’attendait pas non plus car son cri n’enchante pas… Arrêt sur image pour un oisillon… Ce texte émouvant, c’est en lien avec l’actualité ?

    Aimé par 1 personne

    • Le lien avec l’actualité est très ténu, mais en effet j’ai pensé à ce gosse actuellement jugé à Kiev. Il était originaire de Sibérie, et j’imagine qu’il n’a rien compris à ce qui se passait, ce qui ne l’empêche pas d’être devenu un assassin (comme les militaires russes du haut commandement).
      Bonne fin d’après-midi !

      Aimé par 1 personne

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