Rions un peu (mais pleurons aussi) sur la connerie ambiante !


Deux frères de 26 et 27 ans, comparaissaient devant le tribunal correctionnel pour des violences au cours d’un concours de pétanque.

Infos : « la Dépêche »

Condamné à 400 ans de prison, il est finalement… innocenté après avoir passé 34 ans derrière les barreaux (la dépêche-toi ils arrivent!)

Le chat dormait sur la table de jardin sur laquelle je devais étendre la nappe. En ce presque printemps, il faisait beau. Il est bien connu que les chats ne respectent aucune des règles de l’art de vivre que pratiquent les humains. Raison pour laquelle je l’ai saisi par l’encolure et l’ai bazardé au-dessus de la haie, chez le voisin qui, comme nous, soufflait sur les braises de son barbecue. Le chat atterrit sur la pelouse que tondait son épouse. Elle eut un haut le cœur en voyant le minou étendu dans le gazon. Elle s’approcha, « pauvre minou ! » dit-elle. Puis elle redémarra l’engin qui coupe l’herbe comme la barbe des ours, vu que son mari la surveillait comme des merguez sur un brasero syndical.

Dans la résidence voisine, un immeuble de deux étages, avait été aménagé un boulodrome sommaire, où chaque après-midi après la sieste venaient chômeurs et retraités, une dizaine par beau temps, rapprocher le cochonnet de leurs boules, pour des parties sans enjeu, car leur petit club était essentiellement composé d’amateurs . Sauf bien sûr quand la gente féminine venait participer aux parties, dont certaines avaient, il faut l’avouer, des rondeurs que jalousaient les veufs et les célibataires. Ce que dans le journal on nommait la France Profonde, mais dont tout le monde ici se fichait.

Jusqu’à ce jour où deux frères vinrent jouer sur ce boulodrome auquel aucun bastaing n’arrêtait les boules, les pointes comme les tirs, les carreaux essentiels. Le chat les regardait de loin et le cochonnet en certaines occasions, se déguisait en ballon ovale. Ces deux cons (mais ce ne sont pas les seuls, car la pétanque induit pas mal de choses depuis qu’elle est considérée comme sport olympique, bien que rien ne soit sûr ! https://www.ouest-france.fr/sport/petanque/) février 2023

Puis arriva la condamnation à 400 ans de prison. Bon, que peut-on dire de cette nouvelle stupidité ? Que peut-on dire de cet état du Wyoming qui interdit la pilule abortive ? Rien, silence ! KKK.

https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-le-wyoming-premier-etat-americain-a-interdire-la-pilule-abortive

Bon, c’est dimanche. Dieu se repose et c’est encore moi qui suis de service (jusqu’à Pâques, après on verra !)

18 03 2023

AK

Un parachute accroché à la patère

J’ai attendu quelques décennies avant de comprendre que la naissance en ce monde entrait en même temps que la corruption de la mort. Tous les cliquetis terrestres n’étaient que des signes incertains et logiques de ce qu’était la vie. Je n’ai plus la force de m’abandonner et l’inattendu est semblable à des bretelles suspendues en deçà du néant. Je vais sauter dans le vide, ouvrir mon parachute, et revivre. Je vais retrouver mes rires d’enfant, mes amours de jeunesse, mes vagabondages. Tout sera suspendu à l’altitude à laquelle on me larguera. L’homme approche, sous un uniforme qui sent la naphtaline. Il vérifie notre identité, les ordonnances des médecins, notre physique (nous marchons quelques pas dans la cour attenante à la piste). Puis il crie : go !

Les hélices du Transall C167 font un bruit infernal, les vaches en contrebas dansent, affolées par leur tonitruance. Il fait beau. Et tous mes compagnons savent que c’est juste un exercice , un saut loin de la guerre, la vraie. Un genre de dictée pour apprendre le métier. La terre est en bas, et dans l’espace bruyant de la carlingue, je songe à mes souvenirs d’enfance dans les Pyrénées. À ce sentier caillouteux qui menait au pic du Midi de Bigorre. Une heure de marche et cette angoisse qui m’envahissait de chuter sur tous ces pics pointus de la montagne, chaîne majestueuse qui se dévoilait au fur et à mesure de l’ascension. Mon père marchait devant, à grands pas de militaire en permission, loin du djebel et de l’Indochine pour quelques jours encore, et ma mère me tenait par le bras : vertige enfantin. Pourtant, étrangement, dans ce sentier inondé de cailloux secs et durs, un bruit d’eau ruisselait sous nos pas. Le silence coulait, un silence coulait si pur que l’on entendait pleurer les cailloux quand nous marchions dessus. C’était sans doute là que dans ma puérilité j’ai décidé d’être poète. Sur la plate-forme ancienne mais rénovée qui formait le terme de l’excursion, l’observatoire offrait des vues gigantesques sur les étoiles et les centaines de pics aux noms étranges, sur des horizons lointains et extraterritoriaux. Mais je tenais sans cesse la main de ma mère, sait-on jamais où l’imagination mène à ses propres vertiges.

Mes amours de jeunesse ont de leur côté piétiné bien des plate-bandes. Les beaux gosses du lycée attiraient les jolies princesses dont je convoitais l’amour, amour auquel je ne comprenais rien. Plus grands, plus matures, plus intelligents ou charismatiques, peu importait leur statut, je coursais les filles pour exister en tant que garçon venu de la campagne, fébrile autant que félibre. Et certaines s’offrirent à l’abandon, ainsi se présenta l’instant sacrificiel tant attendu. Dans cette carlingue où douze d’entre nous sauteront pour la première fois, je compte mes ruptures et ces amours dont je sens que chacune a depuis trouvé celui qui convenait, la vie est un loto qui se perd en promesses, mais il faut jouer, paraît-il, pour aimer. Et parfois, s’élancer dans le ciel. Pour ne jamais atterrir.

15 03 2023

AK

Rions un peu (les faits divers du dimanche)

Article paru dans La Dépêche du jour :

Une Américaine a retrouvé le cadavre de son mari dans une armoire, en allant chercher ses décorations de Noël. Ce dernier avait disparu depuis près de huit mois. 

Jennifer Maedge, une habitante de l’Illinois, aux Etats-Unis, a retrouvé le corps de son mari dans une armoire, près de huit mois après sa disparition, rapporte le New York Post.

Son époux, Richard Maedge, avait disparu le 27 avril dernier. Elle avait immédiatement prévenu la police, mais les recherches n’avaient rien donné.

Le 11 décembre, alors que l’Américaine récupérait des décorations de Noël, elle a été choquée de découvrir le corps de son mari dans le placard où elles étaient entreposées. « J’avais décidé de mettre le sapin de Noël, et je cherchais un sac de décorations. C’est là que j’ai découvert son corps », a-t-elle raconté.

Depuis des mois, Jennifer et ses voisins signalaient une odeur nauséabonde provenant de la maison, mais pensaient qu’il s’agissait d’eaux usées. Le corps de Richard s’était décomposé au point de se momifier.

Selon les résultats de l’autopsie, l’homme s’est suicidé. La famille du défunt affirme que l’enquête de la police a été bâclée.

Bon, tant qu’on y est, encore un truc idiot :

Non au baiser en toc

Dans « Libération« .

Flamenco au café Buenaventura

Juan avait mis du temps à vieillir et pourtant chaque nuit, quand ses paupières se fermaient, il revoyait cette femme qui était entrée dans le café Buenaventura, bondé d’hommes venus d’un peu partout, des environs comme des provinces reculées voire de pays lointains, buvant, se racontant des histoires de fesses dans le brouillard des cigarettes et le brouhaha des conversations. Juan avait dix ans, c’était le fils unique du maire, ce qui lui donnait le privilège de se rendre dans tous les endroits que son père fréquentait, tant administrativement que dans la vie privée.

Quand la femme sauta sur l’une des tables avec l’aisance d’une diablesse, renversant les verres à demi pleins, quand elle se mit à danser, frappant ses talons ferrés sur le bois en chêne que tant de coudes avaient usé, virevoltante, sa robe rouge aux mille plis ventilant l’espace épais, et le claquement de ces coquilles que l’on dit castagnettes laissèrent pantois tous les clients. Sans doute une andalouse, songèrent les buveurs venus des pays lointains, pays que seule la frontière de la montagne à vrai dire les avait vus franchir. Juan écarquillait ses jeunes yeux, émerveillé. Dans son esprit, elle était l’Andalouse, pas besoin de la nommer autrement, elle s’était incrustée dans son esprit et sa rétine sous cette appellation.

Deux hommes en particulier la regardaient danser. Ils étaient sobres et se connaissaient de longue date. L’un venait des Pyrénées et se nommait Aneto. Mais on l’appelait Laneto, car il avait les oreilles décollées. L’autre venait du sud de l’Espagne, de la sierra Nevada, et se nommait Mulhacén. C’était un grand gaillard à la peau sombre et aux yeux noirs. Leurs regards s’entrecroisaient comme le fer d’une épée qui chercherait en duel le défi amoureux dans l’œil de son rival. Attablés à distance l’un en face de l’autre, ils contemplaient en se surveillant la danse de l’Andalouse, quand entra un étranger portant dans son étui une guitare sèche qu’il posa sur le comptoir et l’ouvrit. Ce fut un moment curieux, étrange et magnifique que les yeux de Juan n’oublieraient jamais. Deux hommes assis dans l’ombre, tout au fond du bistrot, à leur tour ouvrirent l’étui de leur instrument, et qu’en sortirent-ils ? Une guitare. L’un de ces deux individus se nommait Higelino. On le connaissait dans le petit pays pour avoir déclaré que sa guitare était peut-être un fusil. Mais on le croyait fou et il n’avait, à ce jour, occis personne. Mais qu’importait pour Juan ces étuis qui s’ouvraient, tant il était fasciné par les talons qui claquaient sur la table de bois au rythme des castagnettes.

Lorsque la table se renversa, sur le carrelage où le bistrotier commençait à répandre la sciure, l’Andalouse à nouveau se remit à danser. Trois guitares l’accompagnèrent de concert. L’Aneto fut pris de vertige et Mulhacén était près de la syncope. On alla chercher leurs femmes respectives, qui dormaient à l’étage, avant de reprendre leur travail d’entraîneuses dans la salle enfumée et alcoolisée. Et à la grande surprise des hommes présents, elles se mirent à claquer des mains et à psalmodier, accompagnant la danse et la magie que l’Andalouse sans fatigue ni dédain faisait vivre, les pieds sur le carreau où la sciure à son tour tourbillonnait. On ne saurait dire ce qu’un enfant de dix ans peut conserver de ce moment, sinon la vie qui, quand les paupières se ferment, laissent vagabonder les chemins de l’existence.

09 03 2023

AK

Il sera narré plus tard les (mauvaises) raisons de la rivalité qui opposait L’Aneto et le Mulhacén, une affaire vieille de 75² siècles…

Circonstances analgésiantes.

J’ai regardé par la fenêtre : il n’y avait qu’une pluie fine.

J’ai pris le revolver, l’ai palpé

Sans avoir l’idée de tirer les rideaux.

Mon index a longé le canon.

Je dois admettre que j’ai joué,

Longuement.

À la fenêtre, un rideau gris constellé de pluie fine.

J’ai mis un disque sur la platine

Un tango extrême, un pur un vrai

Ai caressé les cheveux d’un souvenir

Si lisse que de ma peau

S’est échappée la balle.

Longuement

J’ai palpé le noir

À chercher la douille

Ne trouvant que la peau

Épaisse de la blonde platine.

À la fenêtre la pluie zébrait les vitres.

Mes yeux étaient déjà morts.

Une main tenait un revolver

L’autre s’abrutissait de désespoir.

Puis

J’ai trouvé la balle.

Et l’échancrure de ses seins.

Je dois admettre que j’ai joué.

Longuement.

À la pointe des seins

La mort se raidissait

Au bout de mes doigts

Mon sexe grossissait.

De l’autre côté, la fenêtre, la pluie fine.

Laura dormait, simplement.

Mon index a longé le canon

J’ai caressé le noir de son sommeil

Avec la lassitude des jours qui coulent

Puis

Le coup est parti.

Circonstances analgésiantes.

06 09 1986

AK

L’ardeur au chevet de la dernière heure

Dans le feu de l’Enfer j’ai jeté tous ces jours inutiles

Tous ces espoirs dont on dit qu’ils font vivre

Tout cela grésillait, se réduisait en des braises futiles

La certitude et les horizons perdus parmi les livres

Qu’au feu, pour l’embraser, je jetais par centaines

Pour ne pas condamner les yeux qui les ont lus

Dans le silence immobile flambaient les crimes sans mobiles

Que le regard parcourt tout au long de sa vie morne, fragile

Éphémère mystère de l’écrit de l’instant qui jubile, suspendu,

Mal peigné, rempli de talus et d’incertitudes, de mots

Qui s’entrelacent sans même y perdre le compromis des ruts

À cet instant dans la chambre glaciale a pénétré la brune Alma

Je ne sais plus si elle s’était vêtue de désir ou de rêve

Il y avait le brouillard, la guerre, le ciel bleu, et la trêve

Les bals de la jeunesse et ces récits héroïques des balles

Qui ne traversent plus que le destin des condamnés

La certitude d’en finir quelque part hors d’ un lit, contre un mur,

Qui jamais ne dira qu’Alma était brune et au lever du soleil

Quand le réveil sonna seul un mégot de cigarette blonde

Me rappela que le bonheur de vivre n’était plus de ce monde

Ne restait que l’heure sombre des âmes que l’on blanchit à l’aube

Dans le feu de l’Enfer brûleraient mes souvenirs incertains

Le voyage serait simple, rude, et le pays en moi partirait en fumée

Un mégot de tabac brun ou blond au bec comme Alma me les allumait

La certitude grésillait avant l’effacement. Je devais me lever, absent,

Taire face aux bourreaux mes acquis sensoriels, ces chants de la Terre

Qui me verraient tomber, ensanglanté et ruisselant de mort austère

Posture d’un être mal peigné, rempli de talus et d’incertitudes

De ces jours inutiles que la paix jardinait d’une saison à l’autre

Comme à l’automne de la vie tombent les feuilles : mortes.

02 03 2023

AK

Journée du chien

Voici une galerie qui inaugure l’évènement que je viens d’initier pour le plaisir de n’en être pas un. (Pas encore!)

Abandon et retrouvaille

J’abandonne . J’abandonne mes mots

Sur la survie des chants et des batailles

Je taille ma sale gueule sur la vieillesse

Qui me mine et vos rires aimables, je les fuis

Je suis parti dans un jeu de poker, ai perdu

Je ne laisserai aucune trace, nulle empreinte,

Le Paradis je vous en laisse ma maigre part

Mais n’engage personne à y participer

Je ne vaux plus rien du vaurien que j’étais

Rire de soi est parfois difficile, les paupières

Ne marquent de rimmel que les faux cils aveugles

J’abandonne mes yeux dans la caverne des puits

Celle où les pleurs tarissent les nappes phréatiques

J’épluche ma sale gueule comme l’économe une patate

Je suis allé plus loin et en suis revenu, couvert de sable

Oubliant que tout se réduirait en poussières, en grammes,

MAIS

Je suis nu sous la lumière

D’une femme

Qui sourit

Et me grise

Je suis nu sous la fenêtre

De l’âme

Qui me fusille

Et me poudre

Je suis né sous le feu

De la marmite

Qui grésille

Et me brûle

Je suis venu sous la pluie

Des baisers fous

Qui l’enveloppent

Et me confondent

Je suis Vénus sous la lumière

Du peintre excessif

Qui me révèle

Et m’éternise.

Quand une femme belle, une étrangère aux hanches souples,

Demande à un homme, nu sous la lumière,

« souris-moi ! »

Méfie-toi.

Ne sois jamais celui qui cède,

Mais songe, à peine au fond de toi

Que souris grise fait ton repas

Et blanche, expérience de laboratoire .

02 09 1986

AK

Éteindre la télévision après 23h de sommeil

Éteindre la télévision après 23h de sommeil

Le jour où j’irai au bout de moi-même

Il n’y aura pas même un résultat probant

À peine sentirai-je le frôlement du vent

Visitant mon intérieur, morne tempête.

Mais il y aura le jour, celui précisement

Que l’on ignore, qui rend la vie banale,

Ce rendez-vous d’absence avec le vieil amant

Cette succession de saisons, cette peau cuivrée de balle

Pleine de spasmes, ses refus de sortir l’âme du corps.

Le jour où j’irai au bout de moi-même

Il y aura un pas et l’empreinte d’un autre

Qui me survivra, un escroc de première

Roulant mon œuvre dans la chimère

Comme éperdu, triste sort, sombre frère,

Mais il y aura l’aube d’un bruit qui cesse

Un dernier souffle qui gonfalonne l’esprit

Un rendez-vous avec Nulle part, maîtresse absurde,

Il y aura un baiser de Tosca sur un miroir brisé

Le jour où j’irai au bout de moi-même

Je n’en aurai plus trop que faire

D’aimer la vie, d’avoir aimé sans rien comprendre,

À peine sentirai-je l’érection de mes poils salingues

Sur la peau crasse de mes feus souvenirs

Mais il y aura la pluie, cette pluie torve

Qui ronge les sangs, cette pluie noire d’Ibuse

Toujours partout et quelque part encore

Le jour où j’irai au bout de moi-même

Même si je suis un autre je veux y aller seul

Pour tromper mon ennui, vivre l’ultime nuit

Où ce n’est plus l’œil qui contemple l’endormi

Mais le sommeil qui étreint la vision ;

Éteindre la télévision après 23h de sommeil.

10 09 1986

AK

Une affaire simple et tranquille de tous les jours.

Un chien a traversé la rue. Une voiture passait, qui roulait à vive allure. Nulle collision pourtant, pas de sang ni de bave sur la chaussée. Ce n’était pas exactement au même moment, seulement au même endroit. John connaissait le chien (Bowl), mais également le pilote de l’automobile (Peter Husky). Il faut préciser que John passait ses journées dans son fauteuil à bascule à regarder depuis sa coursive en bois vétuste ce qui se passait dans la rue, un plaid sur les genoux et un bonnet de laine sur le crâne. Les habitants du quartier qui se rendaient puis revenaient de leur travail l’avaient surnommé : le Hibou Diurne.

Ce jour-là, vers seize heures, Bowl traversa la route pour aller pisser de l’autre côté, et profiter de cette excursion pour laper l’eau du canal que les habitants nomment le Styx, tant il émet d’odeurs pestilentielles. C’est alors que Peter Husky, au volant de son Aston Martin,fonça en faisant crisser les pneus dans le virage en amont de la route puis freina d’un coup sec devant chez lui. Il regarda son chronomètre et sa déception s’offrit quant à son précédent record. Vingt huit minutes du bureau à son domicile, merde ! S’il n’avait pas raccompagné Muriel à son domicile, ç’aurait été pari gagné. Il gara son engin le long du trottoir attenant à sa maison.

Bowl se léchait les fesses dans les herbes hautes que les employés municipaux n’avaient pas encore tondues près du canal. L’hiver il n’y avait qu’un ou deux promeneurs qui suivaient ce chemin de halage, des coureurs à pied essentiellement (les coureurs de jupons n’y venaient qu’au printemps). John regardait défiler les saisons et ses rares voisins . Parfois, il tournait la tête vers le canal, mais le charroi de la rue lui semblait plus intéressant que le morne cours d’eau qui coulait côté sud, dans son dos délabré. Il ne se passait rien. La chaleur déclinait avec le soleil quand Bowl se mit à aboyer. Un charpentier du nom de Jove gueula depuis une maison voisine. Mais le chien aboya de plus belle. Jove fut rejoint par Peter, qui vint à la rescousse. Effectivement, Bowl n’aboyait pas sans raison : le cadavre d’une femme gisait sur la rive du canal. Peter reconnut instantanément Muriel, mais se tut. Il l’avait déposée chez elle, un bon quart d’heure auparavant. John tourna la tête et visionna la scène. Son fauteuil à bascule commença alors à remuer et à grincer sur le parquet de la coursive. Nul ne pourrait imaginer ce qui lui traversait la tête. Phénomène mécanique ou cérébral, plaid ou bonnet en surchauffe, l’ensemble joignait le corps et l’esprit du vieux scrutateur. Tout en se balançant, il remit les pendules à l’heure, la chronologie de ses observations.

Bowl avait traversé la rue avant l’arrivée de Peter Husky, et le retard de celui-ci était notable, quant à ses prouesses de pilote. Mais fallait-il imputer ce retard au fait qu’il ait ramené Muriel chez elle ? De fait, pourquoi le cadavre de cette jeune femme se trouvait-il au bord du canal que les habitants appelaient le Styx restait une énigme pour John et les autres témoins de cette mort dont rien ne prévoyait l’arrivée sur ce site. Jove demanda en hurlant à John d’appeler la police, ce qui fit de nouveau aboyer Bowl. Mais le vieux était sourd et Peter courut jusqu’à la coursive pour demander à l’ancêtre où était son téléphone. Or, le fauteuil à bascule était vide. John s’était couché sur le canapé du salon, pour rassembler ses idées et refaire le film de ses observations. Au pied du canapé, une bouteille de whisky avait rendu l’âme. Peter vit le téléphone, un machin hors du temps, avec des numéros à composer en tournant le barillet. Cependant,la machine ancestrale fonctionnait et il appela les secours, trois numéros trois roulis de l’engin.

Le réceptionniste du poste de gendarmerie, un gaillard plein d’humour noir, répondit d’une voix claire et aimable : « bonsoir, ici l’hôtel du Loup-Styx, trois étoiles,merci pour votre appel, hélas tout est complet ! » Peter mit rapidement fin à la plaisanterie et fut connecté à l’inspecteur Mac Dowell, responsable de la sécurité du canton, un genre de shérif sans étoile venu là attendre sa retraite et calmer ses épanchements de synovie dans le gin. John ronflait de tout son long sur le canapé, avec de petits mouvements nerveux qui auraient confondu les minutes d’une aiguille horlogère. Une mécanique devant laquelle Peter s’immobilisa. Le vieux paraissait remonter le cours du temps. Des bribes de mots semblaient évoquer un texte confus,à peine audible, entre aboiement et freinage de voiture. Sa parole avait perdu dans l’alcool la réalité du récit qu’il articulait mais restait présentement incompréhensible.

Jove le charpentier et Bowl le chien restaient à proximité du corps de Muriel, l’un se remémorant la fois où elle l’avait embrassé, sans qu’il connût son nom, l’autre pour l’avoir flairée de multiples fois, quand il montait, ayant perdu son chemin, dans le coffre arrière du bolide de Peter qui le rapportait chez John, où le chien avait sa meilleure gamelle. Tous ceux qui passaient devant la coursive, allant ou revenant du travail, avaient acquis l’idée que Bowl était le chien de John. Mais certains s’amusaient à raconter qu’en fait Bowl surveillait le fauteuil à bascule du Hibou Diurne, tant que celui-ci ne l’empêchait pas de traverser la route pour pisser dans les herbes hautes qui longent le canal.

Ainsi,quand l’inspecteur Mac Dowell se rendit sur place, une rapide analyse fut faite sur les traces que délivraient les herbes couchées par le passage éventuel d’animaux ou d’humains, cheminements qui conduisaient à Muriel. L’inspecteur constata qu’il n’y avait eu aucune violence sur le corps de la jeune femme, sa robe et l’ensemble de ses vêtements ne portaient aucune trace d’agression, seules des traînées herbacées coloraient ses vêtements épais. Ce qui signifiait que Muriel s’était rendue sur ce lieu de son plein gré et n’avait subi aucun sévice. Ce qui fit dire à l’inspecteur qu’il opinait pour le suicide, ce qui fit aboyer Bowl. Lorsqu’au bout de la coursive apparut John. À environ vingt mètres le canal le séparait de la même distance que celle de la route. Il venait de remonter la chronologie des faits.

Le chien avait bel et bien traversé la route,et quelques minutes plus tard le bolide de Peter Husky avait violemment freiné devant chez lui. Sauf que Muriel était encore accrochée au pare-choc arrière où sa veste était coincée, d’où le record manqué. Elle fut projetée à plus de vingt cinq mètres vers le canal où Bowl se léchait les fesses.

Un chien a traversé la rue. Une voiture passait, qui roulait à vive allure. Nulle collision pourtant, pas de sang ni de bave sur la chaussée.

16 02 2023

AK

(Juste une histoire qui passe sous l’œil encore ouvert d’un admirateur de Raymond Carver)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Raymond_Carver