Lilou, rue des Lilas

(@Alma, @Do,@Maêstro)

J’ai connu Lilou rue des Lilas, au début d’un mois de novembre. C’est une rue pentue, étroite, dotée de maigres trottoirs et bordée de maisons ouvrières accolées, aux façades défraîchies, rue que j’arpentais et remontais une fois par semaine pour acheter ma dose de tabac à rouler. Je ne me souviens plus s’il pleuvait ce jour-là, mais me rappelle très bien que les employés de la ville avaient débloqué les bouches à clef et que l’eau ruisselait abondamment dans les caniveaux. Lilou descendait du haut de la rue, l’air désinvolte, jouant à saute-ruisseau comme une gamine qu’elle n’était plus. Elle avait vingt quatre ans. De prime abord je la pris pour une attardée mentale, bien que cela ne correspondît pas à sa silhouette, son port et ses vêtements. Elle était très jolie, paraissait s’amuser avec ses gestes enfantins, rire d’elle-même et de l’environnement triste qui balayait cette rue déserte, aux fenêtres mi-closes. Seuls quelques chats vagabondaient sous le ciel gris, ou dormaient sur le palier des maisons.

Un temps charbonneux, comme nous en avions souvent en cette saison. Pour autant, ne régnait aucune tristesse apparente dans la rue des Lilas. A mi-pente, des musiques traversaient portes et vitres, des odeurs de repas nourrissants et parfois un air d’opéra se glissait dans la rue, sous la forme subtile d’un sweet-shirt rouge séchant au balcon d’un étage. C’était pour moi un rappel, tout comme la carotte du bureau de tabac était le fanal où tous mes vices avaient trouvé refuge.

Lilou, ai-je dit, avait vingt quatre ans. Je dis cela car par ici les femmes qui dépassent l’âge de vingt cinq ans sans être mariées sont traitées de vieilles filles, qui finiront, disent les commères, sans mariage ni gai veuvage. Or Lilou sautillait comme un cabri entre l’eau du caniveau, le ressaut du trottoir et le bitume crevassé. Plus elle venait vers moi plus son physique et sa bonhomie faisaient palpiter mon cœur. Sa gabardine légère dansait et voletait dans l’air frais, sa taille était fine comme la brise de mai, quand vient la saison d’ouvrir grand les volets, combien mesurait-elle, je le sus plus tard : nous avions la même toise, elle avec ses talons, moi avec mon regard quand je la fixais droit dans les yeux, mais cela arriva bien plus tard que l’instant dont je vous parle ici, car s’il faut un début à tout, c’est dans la rue des Lilas que tout débuta. Je grimpais en soufflant (à cause du tabac), elle descendait en riant (insouciante) quand son pied droit ripa sur la bordure (une T2CS2 pour les professionnels) et elle s’affala comme une crêpe sur le sol, à deux pas de moi.

Dans un premier temps, je n’osai pas la prendre dans mes bras pour la relever, elle était trop sensuelle et ma timidité ne pouvait transgresser mon émotion. Une jolie femme qui tombe devant vous, que vous avez lorgné en train de jouir de son imaginaire enfantin, comment pourrais-je la saisir sans éprouver le mystérieux frisson de deux chairs accolées, bien que séparées par une gabardine et un imperméable, un sentiment beau comme beau comme…une machine à coudre et un parapluie sur une table à dissection. Cependant, Lilou ne garda que peu de traces de sa chute. Des ecchymoses au coude et au genou, un sac à main éraflé et une panoplie de papiers, de cartes de réductions, ainsi qu’un petit porte monnaie qui me sembla vide quand je le remis dans le sac. Je pris sa tête, dont le front saignait légèrement, faisant maladroitement tomber son bonnet de laine où ses cheveux avaient trouvé refuge. Ils étaient châtain clair, longs et légèrement frisés ; ses yeux d’un vert émeraude me rappelèrent ces petits roumains qui travaillaient du matin au soir sur les décharges publiques. Son teint était pâle, son sourire avenant. Sur le moment, je me questionnais : avait-elle des ancêtres suisses ou corses ? Car elle ne ressemblait en rien à une femme du Nord, que l’on reconnaît à la fine moustache qui pousse sous le nez, comme dans les pays du sud de l’Europe. Une pilosité douce qui ne se rencontre jamais dans les pays du Nord, mais dont la blondeur échappe souvent au regard du méditerranéen.

Le temps a passé, les saisons se sont succédé, mais dans la rue des Lilas, bien que vous ne passiez jamais par là, sachez qu’au numéro 12, à deux ou trois maisons où un sweet shirt rouge sèche au balcon et vocalise au vent les plus beaux morceaux de musique, vous trouveriez un couple de vieux gamins, de ceux qui n’ont jamais vu ni la mer ni la montagne, mais fument et sautent les ruisseaux du temps qu’il leur reste à vivre, dans le parfum vieillot de la rue des Lilas.

Epilogue

Nous sommes à table. Soudain, Lilou se lève, furibarde.

« -Mais enfin, Chou, tu es complètement fou ! Pourquoi tu leur donnes notre adresse ? Ça va déferler, les touristes vont nous pourrir la vie maintenant qu’ils savent qu’on est heureux, tranquilles dans notre rue en pente. »

« – Tu as raison, Lilou, on va donner l’adresse où le sweet shirt sèche au balcon ! »

AK

05 07 2020

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10 commentaires sur “Lilou, rue des Lilas

  1. Amusant ton texte dans lequel nous (Toulopèra, Alma et moi) apparaissons en figuration en fond de rencontre amoureuse ! Bien trouvé et en plus tu as du bien t’amuser !
    Bon, donc c’est bien au numéro 12 que l’on vient sauter dans les flaques d’eau du jardin avec les 2 gamins qui s’y trouvent déjà ?

    Aimé par 1 personne

  2. Un beau texte, on se laisse entraîner par le charme ce la fameuse petite rue dont tout le monde parle, quand soudain le délire karougien fait son apparition sous forme de moustache 😉
    Pour le reste on a compris, Do et moi on viendra te voir quand Lilou ne sera pas là!

    Aimé par 2 personnes

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