Nous ne combattions plus, la sagesse des hommes
Semblait acquise et le climat restait le pire ennemi
Puis quelques fous sur le damier des Nations
Ont anéanti les règles qui pourtant, loin du sang,
Géraient ce qu’il était bon d’appeler la Paix.
Misérables étaient les hommes sur les champs sans batailles
Misérables sont les soldats qui moissonnent la Mort
Nous ne nous battons pas pour soumettre, juste être
Ce que nous pensons être : humains, bras armés des arbres
Animaux inconscients d’une survie exquise et explosive,
Pourquoi donc en sommes-nous venus à tout déraciner
Dans des tranchées boueuses, des cratères de haine,
La sagesse des hommes avait pour nom: « femmes »
Et quels que soient les genres, le monde s’apaisait.
Maintenant, tous misérables, nous ne comprenons rien
De ce qui nous vit naître, mais nous saurons mourir debout
Face à l’inéluctable revanche des gens qui s’aiment.
04 10 2022
AK
Le jour où je n’aurai plus d’yeux
Dans quel bastringue dansera Dieu
Ma carcasse cassée, les immondices
D’un monde intolérable, ses cascades,
Ce pognon qui s’aligne en rang d’oignon
Dans les magazines quand pleuvent
Et pleurent les licenciés, les mis dehors
On pourrait écrire des vers sur la pourriture
Mais la pomme nourrit cette vermine
Avec de jolis mots, des restrictions sans fin,
Le festin se dévore, éteignez les lumières,
Étreignez-vous les uns les autres dans la nuit
Pour relever la natalité d’un pays déclinant,
Faites des enfants ou inventez l’avenir du réel,
Quand nous savons que nos gosses souffriront
Que les portes sont closes, que nous n’avons
Que ces putains de poches où mettre…
Nos yeux .
07 10 22
AK
« Ma confiture est délicieuse » déclara Suzette, la femme de James alors qu'elle lui en embarbouillait le visage sous le fallacieux prétexte qu'il n'avait pas versé de larme lors de l'enterrement de la Queen. Celui-ci lui rétorqua qu'il trouvait toutes ces pâtisseries indigestes depuis la mort de leur vieux chat, qui se nommait Charlie. Un décès advenu lors de l'écrabouillage du matou qui traversa la route pour trouver un emploi de chasseur de souris dans un grand hôtel de banlieue, rémunéré à la pièce et au poids. Le pauvre animal fut réduit en bouillie mais comme dit le proverbe « la bouillie ne fait pas la confiture, sauf si on la mange les yeux fermés » (fin de citation).
Sur le plan de travail trônaient quatre pots de confiture de figues, cueillies aux heures précises où les frelons asiatiques font la sieste. Les routes de la soie ne participent pas à leur invasion, d'autant qu'ils n'ont pas de passeport ni d'empreintes génétiques pour savoir au niveau des douanes d'où ils viennent, dans les conteneurs pleins de produits destinés au bien-être des occidentaux. Tout ce qu'on sait est qu'ils viennent de loin. Comme quoi il vaut mieux vivre ici que là-bas, avis partagé par les moustiques tigres et autre bestioles importées.
De là à goûter la confiture de Suzette, la compagne de James, il suffisait d'y tremper sa langue pour comprendre qu'elle était parfaite. Mais James renâclait. Il n'était jamais content, que ce soit pour le repas ou les friandises que Suzette lui cuisinait avec amour. Suzette était parfaite, mais possédait un petit défaut non négligeable : elle était enrhumée chronique. De son nez coulaient des jus qui tombaient, souvent par maladresse, dans toutes ses préparations culinaires ou gourmandes. Il n'en fallait pas plus pour James, qui n'avait versé aucune larme pour la Queen, pour qu'il s'abstint à goûter le moindre plat, le plus insignifiant bonbon que Suzette lui présentait.
Il fallut attendre que les voisins de palier, puis ceux de l'étage du septième, puis ceux du sixième, s'inquiètent de cette odeur de brûlé qui emplissait la cage d'escalier. Une âcre odeur de confiture trop cuite. Les gens se concertèrent dans la cage d'escalier : qui irait frapper à la porte du couple ? On les connaissait à peine, et question confiture, personne n'en n'avait jamais goûté. Les vieux sont radins, c'est comme les riches, tout pour eux, rien pour nous autres. Et le James, pas même les yeux rougis après le décès de la Queen, pensez donc ! Du coup, on appela François, le petit du cinquième étage, un morpion de dix ans multi-récidiviste dans le vol des pots de confiture. « Vas-y, toi ! »
François tapa trois fois sur la porte dont les six verrous rouillés tournèrent en crissant sur la porte blindée. Suzette ouvrit, un large sourire aux lèvres : « mais c'est mon petit François que voilà! quelle chance tu as ! Aujourd'hui j'ai concocté une super confiture ! Sache, mon petit, qu'à l'annonce du décès de la Queen, James est tombé dans les pommes. Je n'ai eu alors qu'à les ramasser. Certes, j'aurais pu en faire de la compote ou une tarte, mais que nenni ! »
François regarda vers la porte du palier restée entrebâillée, se demanda s'il devait fuir à toutes jambes ou se confronter aux voisins, planqués dans le couloir. Les gosses sont malins, surtout quand ils ont faim : « je peux goûter, Mamie ? »
Suzette lui tendit une cuillère, « attention, elle est encore chaude ». Le gamin fit semblant de la porter à ses lèvres, mais déclara hypocritement « elle est délicieuse ! Au fait, où est papi James ? »
« Papi James ? Mais il est parti en Angleterre acheter tous les produits, gadgets et autres conneries pour célébrer l'enterrement de la Queen. Il a même dit qu'il rapporterait un Welsh Corgi Pembroke, ou du moins sa photo peinte sur une porcelaine Royal Dulton. »
Bien entendu, François n'en crut pas un mot. La confiture qui sent le brûlé c'est un indice qui ne trompe pas. Il fouina dans la marmite en cuivre, mais ne trouva que du sucre caramélisé. Déçu, il alla fermer la porte d'entrée et revint vers Suzette: « dis-moi la vérité ! » admonesta-il Suzette , du haut de ses dix ans.
« mon pauvre François, je vais te l'avouer, car tu es jeune et que tu pourras faire la même chose, car tu as le temps devant toi. Eh bien, vois-tu, James, sous couvert de le mithridatiser, en fait je l'ai assassiné durant de longues années, presque 96, comme la Queen . »
Le gamin ne parut pas surpris de cette révélation. Il répondit simplement : « moi, j'empoisonne la vie de mes parents 24 heures sur 24. Alors, mamie Suzette, quand enfin sortirais-je de ma déconfiture ? »
« Attends l'automne, François, il vient vite quand on vieillit trop jeune !»répondit-elle.
07 10 2022
AK
Jean Bertola interprète Brassens :
C’est décidé, demain je tue notre chien. Il est vieux et a vidé toutes nos réserves de vin (blanc) dans la cave qu’il devait surveiller. On y avait même installé sa niche. Pas question pour autant me dit Ninette de faire appel à un taxidermiste. Ce chien a pourri notre vie, les voisins nous ont fait des procès et le facteur a eu droit à six semaines d’ITT (cumulées sur deux ans), alors basta ! Pourtant,il était gentil, notre Ralfy, tu te souviens comme il nous léchouillait les pieds quand on faisait la sieste, et cette fois où il grimpa sur le lit avec tous ses attributs en éveil, quel animal c’était, hein, Julien !
Demain je tue le chien. Je m’appelle Julien, et me comparer à Ralfy m’est insupportable. Ninette me regarde alors droit dans les yeux : « et si nous le mangions ? » Je reste coi. « Quoi qu’il en coûte, je ne goûterai pas à cette alternative consumériste. J’ai beau eu aimer Ralfy, jamais je n ‘en mangerai un cuisseau, surtout du fait de l’odeur qu’il a conservé des mollets du facteur, qui sont comme le parfum des fines herbes dans un lapin chasseur, mon plat préféré après les rognons de porc que préparait ma grand tante, qui montait encore aux arbres à 85 ans. S’il te plaît, Ninette, finissons-en une bonne fois pour toutes ! »
Ninette opina du chef, mais il faut bien avouer que question cuisine, c’était elle la cheffe. Le chien ne se souciait plus de nous, c’est vrai, vu qu’il était raide mort dans la cave. Ce que nous se savions pas, c’est qu’il avait écrit un testament avec des rognures de griffes plantées dans le sang de quelques rongeurs. Il léguait sa niche à ses descendants (de l’escalier généalogique), ou elle serait mise en vente si aucune offre se présentait. Les tonneaux étant vides, personne ne se présenta pour le rachat, pas même les chats du rez-de-chaussée, qui préféraient la bière clairette aux deuils canins.
Cependant, Ninette et Julien se posèrent la question. Fallait-il consommer le chien sans son consentement ? Faudrait-il interdire la sieste entre nous ?
Ce qu’il faut rajouter à ce récit, et qui n’a pas encore été développé, c’est que Ralfy, censé surveiller la cave, dormait en chien de fusil, et qu’à sa mort restait le fusil. Or le canon de celui-ci fumait encore. Était-ce la part des anges, cette émanation de l’âme du vin blanc dont tant de chiens abusent en loucedé dans les caves vaticanines, ou simplement le résultat de la jalousie de Julien, dont Ralfy était l’incarnation ? Pour se justifier, Julien déclara à Ninette que le fautif était très certainement le facteur, qui avait agi par pure vengeance. Ninette resta dubitative face aux arguments de son époux, chercha des indices dans la cave, des empreintes de doigts et de pieds, une haleine volage, et ne trouva pas une seule lettre recommandée dans la niche du chien.
C’est en remontant l’escalier qu’elle trébucha sur une marche branlante. Calé entre deux planches, elle découvrit un morceau de papier : c’était le testament de Ralfy, rédigé comme dit précédemment avec les rognures ensanglantées des surmulots. Mais il n’était pas question, dans ce document, de vendre la niche ou d’en faire hériter sa descendance, non, seulement d’y enfermer Julien et de clore l’ouverture avec des planches et des clous. Le codicille en finalisait la raison : pouvoir faire la sieste avec Ninette, sans ce vieux con de Julien. Ce qui échoua, car le facteur était déjà mentalement dans le lit de l’épouse, impatiente de lire le courrier du cœur qu’il lui apportait à chaque tournée, tournée qu’elle lui servait avec un verre de vin blanc, ce qui disculpait Ralfy mais coûta la vie à son mari, prisonnier dans la niche jusqu’à que mort s’ensuive, et que le nouveau couple mangea rôti, agrémenté de rognons de porc et de petits oignons.
Si vous avez compris quelque chose à cette histoire, ne m’en parlez jamais !
06 10 2022
AK

Musiques (c’est bon pour la santé) :
Traductions tirées de https://www.lacoccinelle.net/
Day-o, day-ay-ay-o
Day-o, day-ay-ay-o
Daylight come and me wan’ go home
Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Day, me say day-ay-ay-o
Le jour ! moi j’annonce le jour, moi je dis le jour, moi je dis day-ay-ay-o
Daylight come and me wan’ go home
Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Work all night on a drink of rum
A trimer toute la nuit avec un seul verre de rhum…
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Stack banana till de morning come
A empiler des bananes jusqu’au petit matin… .
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Come, Mister tally man, tally me banana
Allez Msieur le p’tit chef, fais-moi passer des bananes
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Come, Mister tally man, tally me banana
Allez Msieur le p’tit chef, fais-moi passer des bananes
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Lift six foot, seven foot, eight foot bunch
A soulever des régimes de six, sept, huit pieds !
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Six foot, seven foot, eight foot bunch
Des régimes de six, sept, huit pieds !
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Day, me say day-ay-ay-o
Le jour, moi je dis day-ay-ay-o
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Day, me say day, me say day, me say day,
Le jour ! moi j’annonce le jour, moi je dis le jour, moi je dis… . .
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
A beautiful bunch of ripe banana
Un joli régime de bananes bien mûres
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Hide the deadly black tarantula
Planque la tarentule noire mortelle
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Lift six foot, seven foot, eight foot bunch
A soulever des régimes de six, sept, huit pieds !
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Six foot, seven foot, eight foot bunch
Des régimes de six, sept, huit pieds !
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Day, me say day-ay-ay-o
Le jour ! moi je dis day-ay-ay-o
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Day, me say day, me say day, me say day,
Le jour ! moi j’annonce le jour, moi je dis le jour, moi je dis… . .
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Come, Mister tally man, tally me banana
Allez Msieur le p’tit chef, fais moi passer des bananes
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Come, Mister tally man, tally me banana
Allez Msieur le p’tit chef, fais moi passer des bananes
Daylight come and me wan’ go home
Le jour se lève et moi j’ veux me rentrer
Day-o, day-ay-ay-o
Day-o, day-ay-ay-o
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Day, me say day-ay-ay-o
Le jour ! moi j’annonce le jour, moi je dis le jour, moi je dis day-ay-ay-o
Daylight come and me wan’ go home
(Chœur) Le jour s’ lève et moi j’ veux m’ rentrer
Strange Fruit
Fruit Etrange *
Southern trees bear strange fruit
Les arbres du Sud portent un fruit étrange
Blood on the leaves and blood on the root
Du sang sur leurs feuilles et du sang sur leurs racines
Black bodies swinging in the southern breeze
Des corps noirs qui se balancent dans la brise du Sud
Strange fruit hanging from poplar trees
Un fruit étrange suspendu aux peupliers
Pastoral scene of the gallant South
Scène pastorale du vaillant Sud
The bulging eyes and the twisted mouth
Les yeux révulsés et la bouche déformée
Scent of magnolia sweet and fresh
Le parfum des magnolias doux et printanier
Then the sudden smell of burning flesh
Puis l’odeur soudaine de la chair qui brûle
Here is a fruit for the crows to pluck
Voici un fruit que les corbeaux picorent
For the rain to gather, for the wind to suck
Que la pluie fait pousser, que le vent assèche
For the sun to ripe, to the tree to drop
Que le soleil fait mûrir, que l’arbre fait tomber
Here is a strange and bitter crop !
Voici une bien étrange et amère récolte !
__________
Et que Kadyrov aille se blinder à la vodka russe, ici nous vivons libres et heureux ! (pour le moment)
Je suis parti d’ici dit le soldat, mais je ne pensais pas en arriver là. J’aurais du rebrousser chemin, camarade, mais pour moi revenir chez moi est plus risqué que de mourir ici, même si j’ignore aujourd’hui où je suis.
« mais, mon ami, ici tu es n’importe où » répondit son camarade. « Ici, c’est le front, ne pense plus à rien, tire au milieu du visage de ton frère, cet ennemi, et surtout oublies d’où tu viens, car tu n’y retourneras pas ! ».
Pour réconforter son camarade, il ouvrit un carnet sale qu’il tenait dans sa vareuse, à l’abri des bombardements. Il dit : « c’est un poème.Je l’ai écrit en mars à ma fiancée, mais aussi à ma mère.Veux-tu que je te le lise, Sergueï ? »
Son compagnon ne s’appelait pas Sergueï, mais hocha la tête en signe d’acquiescement .
« Il s’appelle Moï Lioubov. Je l’ai écrit hier soir. Tu me diras ce que tu en penses, Sergueï ». Le gars ferma les yeux, grognant « allez, lis, ne m’emmerde pas! la poésie n’est pas mon domaine, j’étais un scientifique. Genre 1+1 font 3, dans les algorithmes. Et maintenant mon sang coule , bordel ! La plaie ne cicatrise pas! » Alors lis-moi ton poème foireux, comme l’est cette guerre » .
Le soldat ouvrit son carnet. Par chance il avait écrit à la mine de plomb son texte, qui survivait ainsi à l’humidité de la tranchée. Le papier du carnet s’écornait sous la chaleur de sa vareuse, mais les feuillets restaient lisibles. Il commença :
« Ma chérie, toi qui es ma seule et véritable patrie,
Tu me manques tant que j’en perds l’appétit et le rire
Nous avons franchi les frontières de l’absurde
Pourtant je pense à toi, je combats pour survivre
Mais nullement pour conquérir un monde plus tranquille
Notre Nation est vaste, alors quel est ce jeu de quilles
Quelle partie se perd sur l’échiquier, quel déséquilibre
S’est-il abattu dans l’ouragan des souffrances inutiles,
Ma chérie, moï Lioubov, qui a déchiré notre destin
Qui a pris la place d’un avenir serein, est-ce l’oiseau
De mauvaise augure ou le fou sur l’échiquier mondial
Je ne sais, mon amour, mais je compte les jours
Qui me séparent de toi , de ma mère, des mille patries.
Dans lesquelles les gens vivent tranquilles. »
Sergueï à la fin de l’écoute, leva son index droit. « Tu sais qu’ils peuvent te fusiller pour avoir écrit ça ». »Mais non Sergueï, cette nuit je vais déserter. Mes combats sont ailleurs, la poésie n’est qu’une arme aux mains de la démocratie. Un peu plus tard dans la nuit on entendit des coups de fusil mitrailleur marteler l’univers. Au petit matin on ne trouva personne. Seule la guerre engendre des cadavres songea le déserteur, mais la vie : jamais !
01 10 2022
AK
Il voulait dessiner un cœur sur le sable, à l’aide d’un vieux bâton de bois flotté qu’effacerait la marée montante. Comme un château de sable, sans doute, un message d’enfant certainement, sans récipiendaire, sans bouteille jetée d’un bateau rimbaldesque (de Rimbaud ou du Rainbow-Warrior) où sombrerait un message encore vierge malgré l’ humidité maritime.
Mais comme souvent les airs que l’on se donne chantent plus faux que l’eau où batifolent les canards et les baleines, on remet ses dessins aux mains du Destin. On dessine la vie selon les saisons vécues, qui sont devenues les plurielles des nombres premiers. Le sable égraine le temps, les chapelets égrènent leurs prières. Le sable est devenu poussière, et l’Homme cendre. Le vent nous portera (cf noir désir).
Il voulut plus tard mourir allongé sur un transat, mais tous étaient réservés sur le Titanic (ta mer!). C’est ainsi qu’il rencontra Clara, non sur un paquebot, mais sur la plage de Biarritz, où en été les chiens sont interdits mais dès l’automne autorisés à promener leur laisse et discuter, entre deux maigres arbres et des balustrades en béton, de la vie de la cité.
Près du Vieux Port, sur une plage entre celui-ci et la Grande, sa mère s’était installée, dans son maillot des années soixante. Il jouait aux petites voitures à côté d’elle,faisant des circuits dans le sable humide, jusqu’au moment où elle lui demanda de déguerpir en vitesse car la mer montait. Il perdit ses jouets, des NOREV et Dinky Toys.
Il faut sortir ses rêves des draps de lit, les émanciper par la profanation de règles absurdes que sont le temps et la vieillesse. Puis on prend le temps de vieillir souvent en riant avec de fausses dents. On a mordu la vie dans sa jeunesse, on cherche ses mots sur les grilles d’un Scrabble pour gagner une fin de partie. Mais dans le fond, on s’en fout. Que les marées montent ou descendent le sable sur la plage a tout effacé, le bois flotté est devenu décoratif et le cœur a disparu, ne laissant nulle trace.
Les vieux se mettent alors à chanter faux et disparaître , à dessiner ce que devient le monde, mais le monde a noyé ses espoirs dans l’océan des Turpitudes, le maelström des Inconnues. Le ciel est bleu comme les yeux des marins au long cours, pourtant il pleut et sans savoir pourquoi le vent nous portera. Sa mère, sur la plage biarrote, lui a demandé de filer en vitesse, laissant ses petites voitures ensevelies sous le sable, perdues à jamais. James Dean, Hitchcock , pouvaient rouler en paix dans l’eau salée : son enfance s’était noyée dans la précipitation.
Plus tard, quand il avait encore des dents de sauvageon, il s’est demandé comment mourir d’amour en mordant la vie à pleines dents sur les seins d’Éva, pour qui il avait gratté le sable avec un bâton pour dessiner un cœur. Ce n’était pas une bonne idée, mais durant des années, plus tard, il n’en trouva pas d’autre.
Alors surgit l’inattendu. Celui que l’on ne nomme jamais dans les jugements rendus par les Hautes Autorités, sous quelque enseigne qu’elles évoluent. L’inattendu, c’est un espace gigantesque dont on ne sent pas la venue : la retraite. On quitte le monde du travail, les vacances à la mer, les potes avec leurs châteaux de sable qu’ils pensent bâtir encore avant de s’en exclure ; mais sans s’en rendre compte. Le retrait, mois après mois, formule l’abandon et souvent la solitude. La pension est maigre et le sable lointain. Il faut vivre avec peu. Regarder la télé, le cinéma est loin et cher, alors James Dean, Hitchcock et les programmes insanes s’incrustent dans la vie quotidienne. Le ciel est bleu et pourtant il pleut, où sont partis les marins, pourquoi n’y a-t’il plus d’eau dans les rivières, où sont passés les NOREV et les Dinky toys ?
Les rêves sont suspendus aux pendules et les petits vieux vont saliver en entendant la sonnerie du repas du soir. Que fera Éva avec le Z qu’elle n’a pas pu placer au Scrabble et qui lui a fait perdre la partie ? Elle dira que les autres joueurs ont triché. Elle dessinera dans la purée du repas un gros cœur pour se souvenir qu’à une époque, elle roulait dans de rutilantes voitures, du côté de Biarritz.
30 09 2022
AK

J’ai eu du mal à sortir du lit Laurina, mais celui-ci était ce qu’on nomme vers La Bourboule, dans le Puy de Dôme, un « lit wagon ». Je supposais qu’elle était partie en voyage durant son sommeil, ce qui ‘était le cas. Ses premiers mots furent « chéri, on est à Venise ou à Istanbul ? » Bien entendu, ces paroles ne s’adressaient pas à moi. Mais elles me firent rêver de grands voyages et quand j’eus poussé Laurina hors du lit j’hésitai entre être un apache ou un héros de western, plutôt outlaw que shérif. J’aurais pu, en cette circonstance, la scalper ou la détrousser de ses bijoux avant de la violer et de l’abattre. Heureusement, je suis un gentil mari et mon pistolet n’est pas létal. J’ai préparé son petit déjeuner et seul le café fumait, pas le canon de vin que je venais d’avaler avant de venir la réveiller. Et puis, il y avait le chat. Le chat qui ronflait sur la couette, gardien des rêves de Laurina, du collier en perles du Japon qu’un ambassadeur (dans son rêve) lui avait offert dans le Transsibérien, juste avant d’embarquer pour le pays du Soleil Levant (ce qui n’était pas le cas de Laurina). Il faut admettre que le sommeil porte des songes plus extravagants que la réalité, surtout le matin, quand il ne reste qu’un quart d’heure de digestion avant de descendre l’escalier pour prendre le bus 14, qui passe à 7h12 tous les jours (sauf samedi dimanche et jours fériés), et dont on ne connaît que par habitude l’horaire chronophage du retour. Et le chat. Un gros mafflu avec des griffes énormes, qui vous regarde, prêt à bondir et dévorer votre vie privée quand un moment d’intimité vous sourit.
Laurina ce matin-là prit l’autobus en vitesse, agitant ses bras comme des ailes d’ oiseaux gavés de plastique qui ne peuvent plus voler. Le chauffeur stoppa et lui demanda de lui dire la nature de son retard, tout en lui proposant un paiement semblable (il trouvait cela amusant de le dire aux clientes à la bourre).
J’observais la scène, depuis la fenêtre du premier étage qui donne sur la rue. J’avais désormais toute latitude pour m’occuper du chat auquel Laurina avait donné le nom stupide de Koshka. Un matou aux yeux bleus qui avait perdu ses poils depuis vingt ans sur les divans en velours et les tapis d’Iran qu’il affectionnait. Laurina s’était toujours montrée clémente avec cet animal qui lui servait essentiellement de bouillotte entre l’automne et l’hiver, ces agents rigoureux descendus de l’hémisphère nord pour faussement réconcilier sous la couette les couples dans les lits quand le chauffage est interrompu. Mais les lits-wagons, pour peu qu’on tire les épais rideaux, survivent à tous les frimas dans l’intimité. Sauf quand l’amour s’égare dans les trajectoires de rêves éphémères. Ce qui était le cas, sauf pour la suite de cette histoire.
Une fois, passe encore, mais si chaque matin on me tire par les pieds, hurla Laurina, qu’il me soit offert un petit déjeuner à avaler rapido et que le bus 14 soit en avance le matin et en retard le soir, mon doux mari, changeons de vie, allons vers celles de nos envies et, pourquoi pas, changeons de train de vie. La scène se passa un samedi matin, alors que pris par l’habitude, j’avais tiré du lit ma femme, qui connaissait parfaitement le calendrier. J’étais comme un idiot et ne pus que lui dire : « et Koshka ? »
Pas de problème, mon aimé, avec son nom nous franchirons la frontière. Emmenons-le !
Il ne restait que deux places dans le train, deux places dites « de luxe », les commanditaires avaient étrangement disparus, et avec un pourboire conséquent, nous pûmes enfin voyager, Koshka dans sa cagette (qu’il fallut payer double). À Brest-Litvosk, en Pologne, on changea durant la nuit les essieux qui n’étaient pas aux mêmes normes que les européennes (comme en Espagne).
« Sommes-nous arrivés à Paris ? » me demanda-t’elle. Et pour la première fois, c’est à moi qu’elle demandait cela. Quelque part, pourtant, je savais que nous avions quitté tous nos rêves, ceux de vivre dans le pays qui était le nôtre.
+Koshka= chat, en russe
27 09 2022
AK
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