Etendre la lascive (épisode 5) : déjeuner en paix (et sans jeux de mots)

Le lundi qui ouvrait la deuxième semaine de ma présence dans cette ferme me couvrit d’embarras : je me réveillai à dix heures du matin, ce qui n’était pas le genre de la maison. Le bourdonnement d’une mouche avait fait office de réveil. Pas très vaillant, le John Carpenter, me dis-je. Il faut dire qu’un silence inhabituel régnait dans la maison, et quand je descendis il n’y avait personne. Un bol, du beurre, des tartines et de la confiture m’attendaient sur la table familiale de la cuisine séjour, et la télévision, sur le vaisselier rustique, n’offrait que des images. Quelqu’un avait coupé le son, que je remis pour remettre un peu d’ambiance (ce manque de bruit était sinistre). Le café était tiède mais il m’était permis de déjeuner en paix, comme le chantait Stéphane Eicher.

J’attaquais ma seconde tartine lorsque Louise déboula, tenant dans ses bras vigoureux un panier d’osier rempli de légumes qui avaient fait toute leur croissance dans le potager pour désormais achever leur existence dans une grosse marmite, à l’image de ces missionnaires lointains qui confondaient un bon bain chaud avec un bain marie virginal préparé par des sauvageons affamés qui ne se faisaient pas prier. Elle m’expliqua qu’elle avait envoyé Joseph et Nadine chez la coiffeuse du village, qu’Olaf et Amudssen les accompagnaient, tenus en laisse, et que c’était l’occasion pour ces derniers de flairer l’air du temps et d’aller aboyer ailleurs.

Je subodorais, car des brins de paille collaient à sa robe, qu’Hubert et elle sur les balles de foin engrangées dans l’étable avaient batifolé, ou fait zig zig, comme on dit dans cette contrée reculée, aux collines roides souvent plus sombres qu’éclairées par un soleil joyeux. Elle haletait encore sous l’effort de je ne sais quels transports, sa poitrine enchâssée dans son soutien-gorge rouge vif (taille 105C). Je profitais de l’occasion pour lui demander de me parler d’Hubert, son mari, de son emploi du temps. Louise me dit qu’il se levait avant l’aube, s’occupait de la traite des vaches et des brebis, nettoyait avec l’aide de Joseph l’étable, et, en saison, partait à la chasse. Les vaches étaient en stabulation libre mais logeaient le soir, pour la traite vespérale, chacune dans un box. Il y avait six vaches regroupées dans un enclos couvert de race blonde d’Aquitaine, une race à viande dont Hubert, me raconta-t-elle, aimait à dire que s’il s’était agi de femmes c’est dans un boxon qu’on les installerait et non un box. Les autres bestiaux étaient des vaches à lait, des Holstein, qu’Hubert appelait ses grosses nourrices. C’était un homme assez spécial, comme vous pouvez en juger, un gars sans malice.

Je questionnai : mais quand Marguerite s’installa chez vous qui aviez déjà les deux tout-petits Nadine et Joseph, nés en 2000, comment prit-il la chose ?

Au début, ma mère ayant quelques ressources depuis qu’elle était veuve, son défunt mari (je vous expliquerai plus tard comment il passa de vie à trépas, encore une histoire de trafic de montres suisses mais Stéphane Eicher n’y est pour rien) lui permit de toucher une pension de réversion lui permettant de contribuer à la marche de notre foyer. Il lui donna le statut de cuisinière et la pauvre passa ses journées devant les fourneaux, préparant jour après jour des soupes et des plats de résistance morale qui finirent par la miner, la laminer. Ce fut pour elle une longue lutte.

La miner, laminé, à ce propos, avait-elle un animal domestique qui puisse la rassurer, un chien, un minet par exemple ?

Là, vous me posez une colle, monsieur Carpenter. Elle est morte il y a dix ans et des chats, on en a vu passer par ici. Cependant, si mes souvenirs sont bons, quand elle allait promener Joseph en poussette un jeune chat les accompagnait. Ah oui, ça me revient ! Il s’appelait Micromégas, vous savez, comme le héros de Voltaire à l’époque où celui-ci rencontra Zadig dans une boutique, avenue de la comtesse du Maine.

A cet instant Joseph arriva en courant et entra sans s’essuyer les pieds. Certes, il faisait de nouveau une belle journée, mais Louise l’arrêta en hurlant : « est-ce ainsi que je t’ai éduqué, salopiot ! Essuie tes pieds sur le paillasson, et avant, va appeler ton père qui doit ronfler dans la basse-cour ! Allez, ouste !

06 02 2020

AK

5 commentaires sur “Etendre la lascive (épisode 5) : déjeuner en paix (et sans jeux de mots)

    • ne me demande pas d’écrire avec ma brosse à dents, je mâche des gousses d’aïl pour chasser mes démons et mon haleine en est affectée!(surtout la nuit avec Chinette, qui me tourne le dos dans le lit). Je suis vraiment affreux !!!

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