les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
Le chat avançait sur le fil à linge, les moustaches en balancier. Je le regardais, étendu dans l’herbe juste en-dessous des draps qui séchaient. La brise avait cessé et la lessive pendait au garde à vous sur l’étendoir. Seules les moustaches du chat vibrillonnaient dans l’air immobile. C’est alors que je pris dans mon poing droit la fronde que je venais de fabriquer, avec ses élastiques et sa petite housse en cuir. Le bois était dur, du buis que mon canif avait eu du mal à trancher, puis j’avais scalpé l’écorce de l’Y et gravé sur le manche mes initiales. Un travail d’une demi-journée que le chat ignorait, ce fainéant qui est nourri par des maîtres scrupuleux et trop dévoués à ces monstres à quatre pattes. Aujourd’hui allait venger l’espèce humaine de tous ces nantis domestiques, à commencer par ce chat qui avançait vers moi en silence. Dans ma main gauche, un gros calot en verre, une bille magnifique trouvée dans la maison la veille. D’autres billes remplissaient ma poche, j’étais prêt pour la guerre.
Le chat m’aperçut, jusque là il regardait le ciel pour garder l’équilibre, et à ma vue il leva la queue à la verticale et pissa en un jet dru de contentement. La sale bête m’aimait bien, tant pis pour elle. Avec lenteur je chargeais ma fronde avec le calot et visai l’animal. Mais celui-ci, au moment même où j’ajustais mon tir, chuta de la corde et me tomba dessus, effrayé, toutes griffes dehors, labourant mon visage et mes bras avant se s’enfuir. En dix secondes il avait gagné le vieux châtaigner et grimpé jusqu’à la cime, trouvant refuge dans un nid que louait une vieille pie quand elle s’absentait (les Vieilles I Pies, ou VIP) pour de nombreux voyages à l’étranger. A la distance, qui plus est verticale, à laquelle il se tenait, mon arme était complètement inefficace. On dit que les chats n’ont pas conscience du temps, donc il n’était pas nécessaire que j’attendisse qu’il redescende de l’arbre. Pour autant, l’envie de tester ma fronde avait augmenté mon taux de testostérone et décuplé mon énergie guerrière. Il me fallait une victime, sans attendre. Mon sang bouillonnait.
Le gravier du chemin crissa. Ma petite sœur revenait de l’école, son cartable sur le dos. Le vent entre temps avait du sécher les draps car j’entendis ma mère lui crier d’aller ramasser le linge avant de rentrer dans la maison. Je me cachai derrière le tronc énorme du châtaigner et lorsqu’elle passa à proximité, les élastiques tendus au maximum, je tirai. En plein dans son dos. Elle chancela, se retourna vivement vers moi, puis baissa la tête. Soudain, elle hurla. Le sol était jonché de petits débris de verre. Bon dieu, grand frère, dit-elle, pourquoi as-tu cassé l’œil de verre du grand-père ? Tu n’avais pas assez de billes ?
En haut de l’arbre le chat riait et me charriait. Ce n’est que partie remise, sale matou, demain je te descendrai avec mon pistolet à eau…
10 03 2020
AK
…chat perché!
J’aimeAimé par 1 personne
Bien joué, le chat !
J’aimeJ’aime